L’ex ministre, togolais Kako Nubukpo était l’invité de l’émission ‘’Eco d’ici Eco d’ailleurs’’ de Radio France Internationale (RFI) et Jeune Afrique il y a quelques semaines. Répondant aux questions de Julien Clémençot pour Jeune Afrique et Bruno Faure pour RFI, l’économiste africain a abordé, entre aux questions, celle relative à la réforme du franc CFA. Occasion pour lui de partager, entre autres solutions, celles issues des Etats généraux de l’Eco initié en mai 2021 à l’Université de Lomé au Togo.
Luc TOSSOU
La réforme du franc CFA et l’entrée en vigueur de l’Eco rencontrent des obstacles d’envergure qui compromettent fortement ses chances d’aboutir. L’économiste togolais Kako Nubukpo trouve deux causes principales. « Il y a deux raisons qui expliquent pourquoi ça n’avance pas. La première, c’est qu’il y a deux traditions monétaires en Afrique de l’ouest. Celle portée par le franc FCFA qui soutient que la monnaie est neutre. Elle n’a pas d’impact sur l’activité réelle. Et donc, c’est une gestion monétariste très ordolibérale. Le seul objectif de cette politique monétaire c’est la lutte contre l’inflation. Et puis il y a une autre tradition portée par les pays anglophones comme le Ghana, le Nigéria, pour laquelle la monnaie est non neutre. Donc on peut utiliser la planche à billet pour activer l’économie réelle. Et donc faire une monnaie à 15 c’est poser le débat sur l’orientation qu’on veut donner à cette monnaie. Il n’y a pas de convergence philosophique autour de ce pourrait être une monnaie à 15… Après, il y a une seconde qui est qu’au fond, on est pris par la dictature des urgences et il n’est jamais le bon moment de poser des questions qui fâchent. C’est pour ça qu’on a reporté à 2027. Parce qu’au fond, on a mis en place des critères de convergence nominale, c’est-à-dire une tropicalisation des critères de Maastricht mais comme ce n’est pas les mêmes traditions monétaires, on ne s’attend pas à ce que l’inflation passe à 2% au Nigéria ou au Ghana. C’est-à-dire qu’on a copié les critères de Maastricht mais on ne pose pas la question de fond qui est la suivante : qu’est-ce qu’on veut faire ensemble ? Pourquoi est-ce qu’on veut avoir la même monnaie ? Qu’est-ce qu’il y a derrière en termes de solidarité, vision politique, vivre ensemble des populations ? »
Les avantages de la zone Cemac, les inconvénients de la zone Uemoa
La réforme du franc CFA piétine en Afrique de l’ouest pendant qu’elle semble prospérer en Afrique centrale. A la question de savoir s’il peut y a voir des vues plus convergentes en Afrique centrale, et si de là peut venir la première réforme du FCFA, l’économiste togolais a livré son point de vue. « Paradoxalement oui. L’Afrique centrale a toujours été considérée comme la mauvais élève de la zone franc. Parce qu’en termes d’intégration, cela a toujours été un peu en retard par rapport à l’Afrique de l’ouest. Mais, il n’y a pas ce débat avec un autre système monétaire en Afrique centrale. Le pays qui aurait pu mener ce débat, la République démocratique du Congo, est relativement en retrait. Donc, la Cemac de par l’homogénéité du dispositif de gestion monétaire peut paradoxalement aller plus vite que l’espace Uemoa… Comme les Etats d’Afrique centrale sont exportateurs nets de pétrole c’est plus facile d’envisager une politique monétaire qui fasse sens. Alors qu’en Afrique de l’ouest, comme les Etats exportateurs de pétrole, en particulier le Nigéria, ne sont absolument pas dans la même phase du cycle que ceux de la zone franc, il a cette discussion de la politique monétaire optimale et accessoirement, ou je devrais dire plutôt corrélativement, le degré de solidarité budgétaire qu’on est prêt à consentir si on sait d’emblée qu’on n’aura pas d’optimalité du point de vue de la politique monétaire… Ma lecture du franc CFA dès le départ a été une lecture autour de la servitude volontaire. J’ai toujours pensé que c’était à nous les africains de construire une monnaie qui soit au service de la transformation structurelle de nos économies ».
Des pistes de solutions…
« Les économies ouest africaines auront à travailler avec tous les partenaires : la Franbce ; les Etats-Unis, la Russie, la Chine… Ce qui est important c’est de construire une monnaie qui puisse être au service de cette transformation structurelle… Il faut surtout, à mon avis, déclarer la création de l’Eco. Comme monnaie commune, pas forcément comme monnaie unique. Parce que le fait de créer l’Eco dès aujourd’hui va engendre une convergence des esprits. Et c’est important, parce le fait de reporter la mise ne place d’une monnaie fait perdre de la crédibilité par rapport aux annonces qu’on fait ».
Relation économique France-Afrique : matières premières
« Nous sommes en train de basculer de ce qu’on a appelé une économie d’empire à une économie de production. Et ce n’est pas évident parce que vous avez des acteurs qui sont dans la première logique, la logique de rente. Des acteurs des deux côtés. C’est pour ça que le débat est plus délicat ici. En plus il y a un élément qui m’a toujours frappé, c’est que le CFA a une dimension beaucoup plus politique et géopolitique qu’une stricte dimension économique. Parce que quand on voit les flux d’investissements directs, on voit qu’il n’y a qu’un pour cent des investissements directs français qui vont en Afrique. Et dans ce 1%, il n’y a que 20% dans la zone franc. Donc, il y a une sorte de disproportion entre ce qu’on peut qualifier d’un cheval de Troie de la France en Afrique sur le plan économique et la réalité des chiffres. Cela veut dire qu’il y a malaise dans la civilisation. Cela veut dire que paradoxalement, la France n’a jamais explicité ce que le franc CFA représentait pour elle. Si ce n’est pas un cheval de Troie du point de vue économique, qu’est-ce que ça représente ? Donc, au fond, c’est l’addition de silences qui engendre tous les fantasmes des deux côtés encore une fois ».