L’alternance au pouvoir dans plusieurs Etats d’Afrique notamment ceux francophones est souvent astreinte aux velléités de certains gouvernants d’aller au-delà du second mandat constitutionnel. En Côte d’ivoire, au Togo, au Rwanda, les chefs d’Etats ont déjà dépassé les deux mandats. Au Sénégal, seul le président Macky Sall sait s’il va essayer de briguer un troisième mandat. Même si le Bénin se fait remarquer par l’alternance au pouvoir depuis la conférence de 1990, il n’en demeure pas moins évident que le sujet reste d’actualité et suscite beaucoup d’inquiétude en fin de second mandat comme c’est le cas pour le président Patrice Talon. En vue de mieux comprendre le syndrome du 3ème mandat, notre rédaction s’est approchée de l’expert en gouvernance stratégies et conduite de changement, président du cabinet conseil GLOBAL DYNAMIS CONSULT aux Etats-Unis d’Amérique, le béninois Edmond Sotondji. A travers ses réponses, nous opérons une incursion au sein du phénomène du troisième mandat tout en recueillant des pistes de solutions pour éviter aux nations d’Afrique francophone d’y être assujetties. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite interview.
L’investisseur : Les gouvernants des pays d’Afrique francophone, Togo, Côte d’ivoire, pour ne citer que ceux-là, s’illustrent depuis les indépendances par des velléités de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Qu’est-ce qui justifie cet état de chose ?
Edmond Sotondji, MBA: Les raisons sont multiples et varient suivant le pays. Mais la principale raison qui constitue un dénominateur commun à tous ces pays francophones est celle-ci. La plupart de nos présidents africains se reprochent souvent des dérives et des exactions en matière de gouvernance et des droits humains. Si bien qu’ils pensent, et ceci, à juste titre, qu’après leur départ du pouvoir, beaucoup de choses pourraient les rattraper et les empêcher de jouir d’une retraite paisible.
Ils se disent qu’en cas d’alternance, ils pourraient se voir traînés devant les tribunaux pour détournements de fonds publics, pour corruption, pour biens mal acquis, pour crime contre l’humanité, etc. En plus, ils risquent de voir du jour au lendemain leurs biens cachés dans les autres capitales du monde, confisqués et rapatriés. Outre la confiscation et le rapatriement de leurs biens, ils pourraient aussi se retrouver en prison pour le restant de leurs jours.
Cette peur de quitter le pouvoir est plus accentuée surtout quand ils ne sont pas certains d’imposer ou de faire élire un dauphin qui pourrait les protéger après leur départ du pouvoir. Aussi, ces présidents se rendent de plus en plus comptent que même quand ils arrivent à imposer ou faire élire des dauphins, ces derniers une fois élus, prennent leur autonomie ou indépendance vis-à-vis d’eux afin d’imprimer une certaine identité à leur gouvernance, et ceci, parfois sous la pression du peuple. Le cas de l’Angola et de la RDC dans une certaine mesure en sont une illustration.
Dans ces conditions, les présidents africains se sentent obligés de passer par tous les moyens possibles pour s’offrir un troisième ou énième mandat. Ils se disent que pour éviter de tomber dans l’un ou l’autre des cas cités plus haut, ils feraient mieux de s’éterniser au pouvoir pour préserver leurs intérêts, ceux de leur famille ainsi que ceux de leur clan politique.
Une autre raison ou facteur non-négligeable, c’est l’influence du gouvernement français. Il peut arriver que le gouvernement français, faute d’identifier un candidat sûr et fiable pouvant assurer les intérêts de la France-Afrique, incite et soutient le président (un griot et un adepte de la France-Afrique en fin de mandat dans la quête d’un 3ème mandat. Voilà en substance les raisons qui amènent nos gouvernants africains à s’éterniser au pouvoir.
Mieux, les anciens opposants une fois au pouvoir développent les mêmes velléités qu’ils avaient combattues il y a quelques années. En Côte d’Ivoire, le président Ouattara brigue son 3ème mandat, au Sénégal le président Macky Sall est en ‘’ballottage’’. La gestion du pouvoir a-t-elle une influence négative sur les chefs d’Etats d’Afrique francophone ? Qu’est-ce qui justifient ces changements radicaux ?
La raison est pourtant simple. Une fois au pouvoir, les anciens opposants tombent dans les mêmes travers que leurs prédécesseurs qu’ils combattaient jadis. Beaucoup de gouvernants africains, même issus d’élections pluralistes et démocratiques, restent souvent l’otage des groupes politiques, ethniques, religieux, sociaux et économiques qui ont contribué à leur accession au pouvoir. Cette situation de dépendance ou de prise en otage implique certains engagements et certaines responsabilités de la part de ces gouvernants vis-à-vis de ces différents groupes. Ce qui ouvre la porte à toutes les dérives telles que les abus de pouvoir, la corruption, le népotisme, les détournements et toutes sortes d’exactions. Si bien qu’en fin de mandat, ils craignent de se faire rattraper par les conséquences de leur mauvaise gouvernance.
Quelle est la responsabilité des citoyens dans le maintien au pouvoir de certains chefs d’Etats africains après leurs mandats constitutionnels ?
Il faut admettre que la cupidité d’une part, et la lâcheté d’autre part des citoyens participent parfois au maintien des chefs d’état africains au pouvoir après leurs mandats constitutionnels. Dans la plupart de nos pays africains, c’est une partie du peuple manipulée et corrompue qui fait des marches pour solliciter ou inciter le maintien du dirigeant au pouvoir. Il suffit que les dirigeants distribuent de l’argent à un groupe de citoyens pour que des appels au maintien du dirigeant au pouvoir fusent de toutes parts dans le pays.
Aussi, la lâcheté du reste de la population encourage les dirigeants à aller au bout de leur désir de se maintenir au pouvoir. Dans les pays où les plans du 3ème mandat ont été empêchés ou avortés, c’est grâce à la forte mobilisation et la pression des populations. Nous pouvons citer les cas de la Guinée, du Burkina Faso, du Mali, etc.
Quels sont les signes annonciateurs de la volonté d’un chef d’Etat d’Afrique francophone de se maintenir au pouvoir ?
Les signes annonciateurs sont multiples et multiformes. Généralement, les souhaits ou les annonces de révision constitutionnelle aux fins de supprimer la limitation à deux mandats présidentiels constituent les premiers indicateurs. Dans la même foulée et parallèlement, des groupes et des leaders d’opinions, partisans du dirigeant en fin de mandat, montent au créneau pour vanter les réalisations du régime et les invitent à continuer leurs travaux de construction et de développement du pays dans l’intérêt du peuple. Quand les odeurs d’une éventuelle révision de la constitution se font sentir et que les soutiens ou les griots du pouvoir commencent par évoquer à travers les médias et les réseaux sociaux la nécessité pour l’actuel gouvernant de continuer les œuvres entamées, commencez par vous poser des questions.
Quelles sont les dispositions à prendre par les chefs d’Etats africains pour éviter le piège du maintien au pouvoir après leurs mandats constitutionnels ?
C’est de simplement gouverner selon les normes et règles établies, et tout ceci, dans l’équité, la justice et le respect des libertés individuelles et collectives. Aussi, c’est d’éviter de se salir les mains dans des dossiers de corruptions, de compromissions et d’exactions de toutes sortes.
Comment est-ce que les citoyens peuvent aider les chefs d’Etats africains à respecter l’alternance au pouvoir ?
Les citoyens peuvent aider les chefs d’État à respecter l’alternance au pouvoir en prenant leurs responsabilités. Comme cela se fait par exemple au Sénégal. Aussi, il faut que la société civile s’invite, s’impose et pèse dans les débats tant au niveau de la rédaction des constitutions qu’à celui de leur modification ou révision.
La veille et la mobilisation constantes et continues de la société civile sont nécessaires pour décourager toute velléité de maintien au pouvoir et aider les chefs d’Etats africains à respecter l’alternance démocratique.
Quelles sont les dispositions à prendre par un Etat pour éviter que les gouvernants aient envie de s’accrocher au pouvoir ? Cas des pays de l’Afrique francophone.
C’est de veiller à la création et au maintien des institutions fortes. Généralement, ceux qui se maintiennent au pouvoir profitent de la faiblesse de certaines institutions de la République. Ils utilisent par exemple la cour constitutionnelle et l’empêche de dire le droit. Aussi, ils utilisent les institutions à charge des élections et les amènent à ne pas valider les vrais résultats issus des urnes mais à lire les résultats venus de la présidence de la République. D’autres institutions sont aussi mises à contribution pour empêcher des contestations à l’interne.
Il est donc important et crucial que les différents États africains prennent toutes les dispositions nécessaires pour mettre en place des institutions fortes et solides dans lesquelles les zones d’incertitudes seront suffisamment réduites ou éliminées. En d’autres termes, comme l’a si bien dit Jerry Rawlings, les États africains se doivent de mettre en place des institutions assez fortes si bien que même si le diable venait à être élu à la tête de l’État, il ne peut que diriger comme un ange.
Avez-vous une préoccupation particulière à aborder ?
C’est d’inviter humblement nos gouvernants africains à faire preuve de sagesse et de patriotisme en quittant le pouvoir avant que le pouvoir ne les quitte. Aussi, voudrais-je demander aux peuples de veiller par tous les moyens à ce que leurs gouvernants soient ceux qu’ils ont réellement choisi dans les urnes et qu’ils quittent le pouvoir à la fin de leurs mandats constitutionnels. Merci !
Interview réalisée par Daphnée OUNSOUGAN