Le président de la République du Bénin, Patrice Talon, a réalisé une opération de charme le mardi 30 août 2022 devant le patronat français. Devant les membres du Mouvement des entreprises de France (Medef), le chef d’Etat béninois a fait un exposé qui a mis en valeur les multiples réformées opérées en vue d’attirer les investissements depuis quelques années, sous son leadership. Ce qui a, visiblement, suscité l’intérêt des hommes d’affaires de France, d’Europe et d’Afrique aussi. Mieux, au-delà des investisseurs, des experts du secteur des investissements ne manquent pas de décrypter le modèle économique mis en place par le gouvernement de Patrice Talon au Bénin. Des points forts aux imperfections en passant par les apports de solutions, ces intervenants jettent des regards professionnels et expérimentés sur le travail effectué.
La sensible question de la captation des Investissements directs étrangers (IDE), a retenu l’attention de bon nombre. C’est le sujet principal de la tribune libre du président de BOABAB VENTURE CAPITAL, écrivain et fondateur du mouvement citoyen Front Béninois pour la Réforme (FBR), l’expert béninois Prosper Ifèdé I. Alagbé. A travers ce travail intellectuel parvenu à notre rédaction, l’intellectuel béninois partage son expertise. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite tribune libre.
Tribune libre de Prosper Ifèdé I. Alagbé
Titre : Souveraineté et attractivité des IDE en Afrique : Quelles leçons tirer de la stratégie Béninoise ?
Le Bénin conduit par son leader charismatique, le président Patrice Talon, entend bien jouer un rôle important au niveau africain dans la captation des fameux « IDE » (investissement directs étrangers), considérés par beaucoup comme la panacée à tous les maux africains, dont en tête l’extrême pauvreté.
Concrètement, la part des investissements orientée vers l’Afrique s’élevait seulement à 5,2% en 2021, d’après le dernier rapport sur les investissements mondiaux publié le 09 Juin 2022 par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). D’après ce même rapport, en 2021, les investissements directs étrangers (IDE) vers les pays africains ont atteint un niveau de 83 milliards de dollars. Il faut cependant préciser qu’environ 45% de ces 83 milliards est lié à une transaction financière intra-entreprise en Afrique du Sud (un seul pays). Autrement dit, le bilan des IDE est loin d’être reluisant pour un continent qui dispose pourtant d’une main d’œuvre abondante et peu chère (L’INED- Institut National d’Etudes Démographiques, estimait pour 2022 la population africaine à 1 406 729 000 d’habitants dont seulement 50 708 000 d’individus âgés de plus de 65 ans). Par ailleurs, selon une étude publiée en 2016 par le Centre Africain des ressources naturelles (ANRC), une entité de la Banque africaine de développement (BAD), l’Afrique disposerait d’environ 30% de toutes les réserves mondiales de minéraux. Quant aux réserves de pétrole elles constituent 8% du stock mondial et celles du gaz naturel représenteraient 7%. Si l’Afrique a autant d’atouts, pourquoi les investisseurs étrangers continuent-t-ils de bouder notre continent ?
Le président béninois semble avoir la réponse à cette question. Patrice Talon, ne s’était pas privé lors de son exercice oral devant ses pairs entrepreneurs du MEDEF en août dernier, de rappeler la perception du risque très élevé qu’ont généralement les investisseurs étrangers, notamment occidentaux vis-à-vis de l’Afrique, dont les pays sont considérés comme des « Pays pas très sérieux ». Fort de ce constat, le premier des béninois s’était alors évertué tout au long de sa prestation devant les pontes du MEDEF, à les rassurer sur les nouvelles vertus béninoises que sont, l’ambition, le sérieux et le labeur acharné. Patrice semble à travers ses choix de politiques publiques d’attractivité des IDE, valider sans réserves un postulat largement partagé au sein d’une certaine élite africaine et qui attribue presque exclusivement la faible proportion des investissements étrangers vers l’Afrique, à un certain manque de sérieux et de compétences des africains. Pourtant, le Bénin qui d’après son président est désormais un bon modèle en terme d’économie néo-libérale et qui dispose de tous les prérequis pour que les investisseurs étrangers se bousculent au portillon, ne les voit toujours pas venir, en tout cas pas en nombre suffisant, comme l’a si bien rappelé le président Patrice Talon. Cette situation pourrait s’expliquer par le simple fait que les motivations profondes des investisseurs non africains ne soient pas forcément la recherche d’une dérégulation du droit de travail ou de grève. La question centrale des motivations et des valeurs qui amènent les IDE en Afrique n’est quasiment jamais abordée. Or la réponse à cette question essentielle est primordiale, afin de structurer des politiques publiques d’attractivité des IDE plus pertinentes et plus bénéfiques pour les africains.
Une analyse pertinente des données du rapport de la CNUCED 2021 est très évocatrice des secteurs qui attirent réellement les investisseurs étrangers, notamment occidentaux en Afrique. On note principalement, les secteurs de l’énergie avec les centrales électriques et solaires, les industries extractives minières, le pétrole, le Gaz, l’aménagement portuaire, la télécommunication, la finance dans une moindre mesure. Les investisseurs asiatiques sont les seuls à s’intéresser de manière prépondérante à l’agriculture et mais souvent l’agriculture de réexportation (le site du Forum CHINE-AFRIQUE informe qu’en fin 2020, plus de 200 entreprises chinoises avaient déclaré un stock d’investissement de 1,11 milliard de dollars dans le secteur agricole dans 35 pays africains).
En conclusion, les secteurs économiques qui drainent les IDE les plus importants vers l’Afrique concernent particulièrement des secteurs dits stratégiques et de souveraineté. Pour apprécier l’importance pour un pays de maîtriser ces secteurs, il suffit d’observer que l’économie Russe résiste très bien aux embargos et aux mesures restrictives qui lui sont imposés depuis l’opération spéciale d’Ukraine, parce qu’elle s’est simplement organisée pour maîtriser elle-même ses secteurs économiques stratégiques et de souveraineté qui sont principalement les secteurs énergétiques et agricoles. Il est également de notoriété mondiale, que les ressources extraites du sol africain par les multinationales étrangères ne sont pas en priorité destinées à une exploitation visant au bien-être et à l’épanouissement des populations africaines, mais principalement à alimenter le fonctionnement des économies des pays d’origine de ces investisseurs comme c’était le cas depuis l’époque des comptoirs coloniaux. D’ailleurs, cette même logique se retrouve désormais dans les nouveaux projets dits d’énergies renouvelables, comme par exemple le projet de 20 milliards de dollars qui vise la fourniture par le Maroc d’énergie solaire et éolienne au Royaume-Uni via 3 800 km de câbles sous-marins.
Ce qui reste étonnant finalement, est le fait que les élites africaines aient encore du mal à comprendre que seuls les capitaux africains peuvent réellement permettre un développement durable du continent. En, effet il ne faut jamais oublier que dans le mot investisseur étranger, il y a « étranger » et que par définition un étranger n’est jamais appelé à rester indéfiniment. Le cas Russe avec le départ précipité d’investisseurs (qui faisaient pourtant des affaires florissantes en Russie), ceci du simple fait d’une réorientation politique de l’Union Européenne vis-à-vis de la Russie, devrait faire réfléchir les gouvernants africains.
Ceci dit, il est utopique de penser que l’on puisse développer une économie sans apport de capitaux étrangers, mais il est tout autant illusoire de croire qu’une politique de croissance économique de long terme puisse être basée et portée principalement par les IDE.
Au final, le Bénin comme tout autre pays africain devrait fortement s’inspirer des modèles Français, Américains et Chinois qui affichent désormais clairement leurs ambitions de contrôler les natures et les montants d’investissements étrangers dans les secteurs qu’ils jugent stratégiques et de souveraineté. Certains diront que ces pays ont les moyens d’une telle politique, mais cet argument ne reste qu’un prétexte, car les pays africains sont aujourd’hui dans la meilleure configuration possible pour redéfinir les conditions d’accès des IDE aux ressources stratégiques africaines. En effet, depuis la crise ukrainienne il devient parfaitement clair que la matière première est tout autant essentielle que les machines qui la transforme. Les théories économiques pénalisantes pour les pays africains présentant la matière première brute comme l’élément ayant le moins de valeur dans le produit fini, sont désormais obsolètes et doivent entrainer un changement de paradigme dans la structuration de leurs politiques d’attractivités des IDE.
Pour terminer notre propos concernant le Bénin, il semble finalement normal au regard de l’analyse des motivations des porteurs d’IDE, que ce pays qui ne dispose pas d’importantes ressources minières à offrir pour être extraites et acheminées vers les industries occidentales, ne puisse pas drainer pléthore d’investisseurs importants par la taille de leurs investissements. D’ailleurs le Président Talon semble en être conscient lorsqu’il déclare à son auditoire « Vous pouvez venir commencer quelque chose… ». Mais ce « quelque chose … » sera-t-il suffisant pour changer définitivement le destin économique du Bénin ? Seule l’avenir nous le dira.
En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus que si les IDE peuvent accompagner le développement économique des pays africains, ils ne devraient en aucun cas en devenir les principaux moteurs. Cela constituerait une erreur stratégique majeure pour les pays africains. Il appartient au final aux élites africaines de prendre conscience que le moment est venu de s’impliquer dans la maîtrise des actifs et des capitaux qui font leurs économies respectives. C’est d’ailleurs le sens de notre engagement au sein du réseau BAOBAB VENTURE CAPITAL.