Le Bénin a besoin de créer plus de richesses pour lever plus d’impôts
Un retour à la « situation de pagaille budgétaire » antérieure est toujours envisageable dans un monde d’après TALON
Le Bénin a amorcé un tournant radical dans son processus de développement depuis l’avènement au pouvoir du président Patrice Talon le 06 avril 2016. Basés sur des réformes économiques, structurelles et administratives, le premier et l’actuel mandat du locataire de la Marina ont tôt fait d’afficher les ambitions d’un Bénin désormais conquérant et mieux organisé. Six années après le début de cette fabuleuse aventure, il est opportun de passer au peigne fin les tenants et aboutissants de ces réformes. C’est ce à quoi s’est attelé le président de BOABAB VENTURE CAPITAL, écrivain et fondateur du mouvement citoyen Front Béninois pour la Réforme (FBR), l’expert béninois Prosper Ifèdé I. Alagbé. A travers une tribune libre parvenue à notre rédaction, l’intellectuel béninois décrypte les réformes économiques de Patrice Talon et renseigne sur leur pertinence, les résultats obtenus et les perspectives. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite tribune libre.
Tribune libre de Prosper Ifèdé I. Alagbé
Le président Patrice Talon depuis son accession à la magistrature suprême au Bénin en Avril 2016, loin de chercher à talonner son prédécesseur Yayi Boni, a plutôt opté pour un grand écart et une rupture complète, tant au niveau de sa gouvernance politique qu’économique et sociale.
Patrice Talon, c’est l’homme des « réformes choc » appliquées sans état d’âme et toujours d’après ses supporters, dans une optique d’efficacité rapide et mesurable. Sa « méthode bulldozer » pleinement assumée, draine son lot de « fans » mais aussi de détracteurs.
Patrice Talon, homme clivant certes, mais très intelligent et ambitieux entend certainement marquer d’une empreinte indélébile son passage à la tête de l’Etat Béninois. Ayant entamé son deuxième mandat et poursuivant son train de réformes à marche forcée, le camp Patrice Talon doit -il s’attendre en cas d’alternance politique en 2026 à une remise en cause de certaines de ses réformes économiques ?
Les dernières élections présidentielles ont vu comme annoncé et proclamé des mois avant celles-ci, la victoire par « coup KO » du ticket Talon-Talata. En dépit des nombreux évènements exceptionnels pour la démocratie béninoise survenus durant cette période électorale, Patrice Talon, président réélu entend poursuivre jusqu’en 2026 son fameux PAG, Programme d’Action Gouvernemental, en déployant pas moins de 342 projets nécessitant environ 12 011 milliards FCFA (selon les informations officielles du ministère des finances béninoises).
La stratégie de développement économique du gouvernement TALON est assez claire et somme toute, assez simple. Une stratégie axée sur un dopage de la croissance à travers les grands chantiers étatiques, seule alternative disponible dans la mesure où le Bénin ne dispose pas d’une forte industrie diversifiée capable de doper ses exportations et sa consommation interne. Ce deuxième mandat TALON, ne verra donc pas un changement fondamental de cap en ce qui concerne les recettes miracles déployées depuis 2016 qui reposent en définitif sur trois piliers :
- Améliorer la capacité d’endettement du pays en renforçant son positionnement sur les marchés de financement internationaux et en optimisant les taux d’emprunts.
- Soutenir la croissance du Produit Intérieur brut (PIB) avec la politique des grands travaux (une stratégie utilisée fréquemment par plusieurs pays développés dont principalement la France et les Etats-Unis…).
- Assainir les administrations publiques sensibles comme la douane et les impôts et mener une politique de digitalisation de plusieurs services publics, afin de mieux contrôler la collecte fiscale (ceci étant vital pour le remboursement de la dette qui constitue l’épine dorsale de toute la stratégie économique du gouvernement béninois).
Cette stratégie à trois têtes, n’est finalement pas si révolutionnaire en terme de réformes. Il s’agit plutôt d’un assainissement de la gouvernance économique avec des règles classiques d’économie de marché. Mais il faut reconnaître que cette stratégie a été bien exécutée jusqu’ici, et c’est cela tout le mérité du gouvernement Talon, qui ressort avec résultats macroéconomiques excellents et indéniables, applaudis par ses supporters et plusieurs institutions internationales. On peut citer notamment :
- L’entrée du Bénin en 2019 dans le club des pays à revenus intermédiaire avec un revenu par habitant qui passe de 870 à 1250 USD.
- Une croissance du PIB qui s’est maintenue au-dessus de 3,5 % depuis 2018, en dépit de la crise sanitaire COVID-19 et des impacts de la fermeture des frontières avec plusieurs pays voisins dont le Nigéria (Le Bénin émarge même en fin 2021 à une croissance de 7% de son PIB).
- Une amélioration du climat des affaires selon le classement Doing business qui voit le Bénin passer à la 149ème place en 2019, alors qu’il occupait précédemment le 153ème rang sur 190.
Mais, tout n’est pour autant rose au pays de Patrice Talon, car le fléau de l’inflation persiste. C’est d’ailleurs le seul caillou dans les chaussures du président et ce caillou est de taille. En effet, l’inflation est sans nulle doute le principal indicateur macroéconomique que le citoyen lambda souhaiterait voir baisser, car cela impacte directement son pouvoir d’achat. D’après les données publiques, l’inflation se situait à fin 2021 autour de 1,7% à 1,8% (il faut cependant reconnaître l’efficacité d’une certaine politique de stabilisation des prix qui a permis de redresser le dérapage constaté en 2020 avec un taux d’inflation de 3%). Mais, même à moins de 2% d’inflation, le faible pouvoir d’achat des béninois n’est pas calibré pour amortir des hausses de prix, même légères. Ceci explique d’ailleurs un certain mécontentement des béninois qui voient la charge fiscale progressée cumulativement à la croissance des prix sur les marchés. Situation qui ne devrait pas s’arranger avec la crise ukrainienne et ses impacts cumulés avec ceux de la COVID-19.
Le développement par la dette et les grands travaux présente alors ses limites. Le Bénin a besoin de créer plus de richesses pour permettre à l’Etat de lever plus d’impôts afin de faire face à ses obligations de remboursement de sa dette et de financement de ses investissements. Si ce n’est pas le cas, toutes les réformes fiscales menées vont s’avérer contreproductives et le gouvernement béninois risque de se lancer dans une fuite en avant d’endettement pour rembourser les dettes arrivant à échéance. Malheureusement, c’est à ce niveau que la machine se grippe, car en dépit des efforts importants mis en œuvre en terme de flexibilisation de droit du travail et de création d’entreprises, le Bénin n’est pas comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire devenu un endroit très attractif pour les investisseurs étrangers. D’après le rapport sur l’investissement dans le monde 2021 publié par la CNUCED, les investissements directs étrangers (IDE) au Bénin ont même diminué passant de 218 millions de USD en 2019 à 176 millions de USD en 2020 et le stock d’IDE en 2020 était seulement de 2,8 milliards de dollars, alors que sur la même année le Sénégal recevait plus d’IDE (+39% à 1,5 milliards USD contre 1,1 milliards USD en 2019 et ce malgré la pandémie de Covid-19). D’un autre côté, depuis la mise en œuvre des réformes économiques sous Patrice Talon, il est loisible de noter qu’aucun champion industriel ou de service béninois n’a émergé, ce qui pose l’autre problématique du soutien du gouvernement Talon à l’émergence d’opérateurs économiques et d’entreprises nationales puissantes capables de se projeter dans la zone ouest africaine, chose nécessaire à la création de la richesse et au développement économique, comme nous le démontre le cas nigérian avec des entreprises comme celles de Dangoté et UBA (pour ne citer que celles-ci).
Par conséquent, en dehors de l’inflation, la question de la maîtrise du dérapage de la dette externe constitue certainement le second casse-tête de Patrice Talon. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), la dette externe du Bénin représentait 55,54 % de sa dette totale en 2020 dont une bonne partie est contractée (environ 56 %) à des taux dépassant 12% voir les 15%. Le coût de la dette reste donc très élevé pour le Bénin, même si la BAD estime le risque de surendettement modéré jusqu’en 2022.
Il se pose alors la nécessité d’aller plus loin avec des réformes économiques encore plus structurantes, comme celles que nous proposons dans notre ouvrage « Bâtir la nouvelle démocratie africaine », dont notamment celles concernant, l’inscription dans la constitution du principe de priorité budgétaire des programmes de santé, d’éducation et de protection de l’enfance et que celui de la limitation des emprunts d’Etat auprès des non-citoyens et des non-résidents. A terme, la suppression de l’impôt sur le revenu et son remplacement par la TVA citoyenne que nous proposons dans notre livre, pourrait rendre plus attractif le Bénin pour les IDE. A cela devra s’ajouter la réduction du train de vie de l’Etat avec la suppression des salaires politiques et leur remplacement par des indemnités de fonction.
Somme toute, Patrice Talon aura réussi à mettre en place une certaine rigueur dans la mobilisation des recettes fiscales pour le financement de sa stratégie économique. Cependant, les mécanismes constitutionnels fondamentaux qui pourraient permettre de maintenir cette rigueur après son départ du pouvoir ne sont pas à notre entendement encore gravés dans le marbre de la constitution béninoise. Tant que cela ne sera pas effectif, un retour arrière à la « situation de pagaille budgétaire » antérieure est toujours envisageable dans un monde d’après TALON.
ALAGBE IFEDE I PROSPER
Président de BOABAB VENTURE CAPITAL, écrivain et fondateur du mouvement citoyen Front Béninois pour la Réforme (FBR)