La Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) a officiellement publié l’édition 2022 des Perspectives de développement en Afrique de l’Ouest (PDAO), qui fait le point sur les développements socio-économiques de l’année précédente et présente les perspectives macroéconomiques pour l’année 2022. Les Perspectives de développement en Afrique de l’Ouest examinent les défis socio-économiques de cette époque et proposent des interventions politiques qui pourraient contribuer à les atténuer.
Daphnée OUNSOUGAN
La sous-région est exposée à un risque de crise alimentaire, à une inflation galopante et au ralentissement de la croissance. Les décideurs politiques se trouvent confrontés au défi de contenir l’inflation sans pour autant réprimer la croissance. Cependant, ces mêmes défis offrent des opportunités de réorientation politique de manière à la rendre plus efficace et efficiente. Une politique monétaire à la fois agressive et souple Les deux vagues de chocs que sont la pandémie et la guerre ont bouleversé la dynamique mondiale de l’offre et de la demande de produits de base, entraînant dans leur sillage le risque de provoquer une poussée inflationniste structurelle qui pose un problème de politique générale. Étant donné que généralement l’inflation procède de l’offre, il est indispensable de combiner judicieusement les politiques monétaires et budgétaires de manière à juguler l’inflation sans freiner la croissance de l’activité économique. Un relèvement trop important du taux directeur de la politique monétaire dans le but de contenir l’inflation, se traduira par une augmentation du coût des opérations commerciales, ce qui entraînera une hausse des prix et freinera la croissance. Il est notoire que la pandémie et la guerre sont à l’origine de difficultés d’approvisionnement qui induisent la hausse des prix des produits alimentaires, des engrais et de l’énergie. La pondération des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées dans le panier de l’indice des prix à la consommation de la plupart des États membres de la CEDEAO dépasse 45 %, les céréales comptant pour la majeure part de ce chiffre. En outre, les augmentations des prix de l’énergie se traduisent par des coûts de transport plus élevés, aboutissant à la hausse des prix des produits alimentaires et non alimentaires. Dans ce contexte, la politique monétaire ne pourra pas, à elle seule, résoudre tous les problèmes liés à l’inflation, raison pour laquelle les relèvements de taux directeurs résultant des politiques monétaires doivent se faire avec prudence.
Parvenir à l’autosuffisance alimentaire
La CEDEAO, comme indiqué précédemment, est tributaire des importations d’engrais. La Communauté devrait envisager de développer la production locale d’engrais dans la double optique d’assurer sa sécurité alimentaire et de réduire son déficit commercial avec le reste du monde. Le Nigeria, le Sénégal et le Togo disposent de riches gisements de phosphate, de potassium, d’ammoniac et de gaz qui faciliteraient la production locale. Il serait également opportun d’envisager le développement de la production industrielle d’engrais organiques dans la sous-région. Fort heureusement, en mars 2022, l’usine d’engrais Dangote (urée et ammoniac) a démarré ses activités au Nigeria, marquant le début de la production d’environ trois millions de tonnes métriques d’urée par an. Cette usine est la plus grande d’Afrique et la deuxième au monde, avec un chiffre d’affaires annuel prévu d’environ cinq (05) milliards de dollars US. Ces devises étrangères ainsi générées peuvent contribuer à soutenir le naira. Par ailleurs, si le gouvernement nigérian opte pour la production locale à la place de ses importations d’engrais qui s’élèvent à environ 260 millions de dollars américains, cette option permettrait également de soutenir la monnaie locale.
La sous-région dans son ensemble peut bénéficier des avantages qu’offre cette usine, si les pays peuvent mettre en place un système efficace de lignes de crédit commerciales qui leur permettra de s’approvisionner auprès du Nigeria. Cela présente de nombreux avantages. Ce système permettra de renforcer le commerce intrarégional, de réduire la durée des trajets pour les livraisons et de tirer parti des faibles tarifs dont bénéficie la production sous régionale grâce à l’initiative AfCFTA. En effet, les importations de fertilisants en provenance du Nigeria auront des coûts de transport et des tarifs moins élevés, de sorte que les agriculteurs locaux verront leurs coûts globaux diminuer. Produits alimentaires Comme précédemment évoqué, entre 70 % et 78 % des importations nettes de céréales de la CEDEAO proviennent des BRIC, des États-Unis et de l’UE.
Les approvisionnements en provenance de ces régions sont en baisse, principalement en raison du conflit Russie-Ukraine, ce qui pourrait provoquer des pénuries alimentaires en 2022 et au-delà. Il est donc primordial que les pays de la sous-région se lancent dans la culture intensive de produits de base comme le maïs, le riz, le blé, le manioc, l’igname, le soja, les haricots, le sorgho et le millet, entre autres, afin d’éviter un risque de crise alimentaire à moyen terme. Il est nécessaire de réaliser des investissements de nature à augmenter le rendement par hectare dans la sous-région, étant donné que son rendement par hectare est l’un des plus faibles au monde. Les investissements dans les semences améliorées, les engrais, les produits chimiques adaptés, les infrastructures d’irrigation et la mécanisation contribueront dans une grande mesure à la prévention d’une crise alimentaire à moyen terme. Les révisions budgétaires semestrielles devraient mettre l’accent sur la priorité accordée à la production alimentaire afin de compenser les déficits d’approvisionnement qui s’annoncent. Il ressort des données disponibles de la FAO concernant dix des quinze États membres de la CEDEAO qu’en 2020, les crédits alloués au secteur agricole s’élevaient à 29 millions de dollars US. La sous-région devrait aspirer à augmenter ce montant de 20 % à 40 %, en privilégiant la production de denrées de base, parmi celles qui ont été mentionnées plus haut.
Promouvoir l’autosuffisance énergétique
Les producteurs de pétrole de l’Afrique de l’Ouest tels que le Nigeria et le Ghana sont des exportateurs de pétrole brut et des importateurs de produits pétroliers finis, en raison des capacités de raffinage limitées et peu efficaces dont ils disposent. Le Nigeria peine à atteindre une production de 1,7 million de barils par jour depuis quelque temps, et sa capacité de raffinage oscille autour de 461 000 barils par jour. En effet, dans une large mesure, à l’instar de tous les autres secteurs, la sous-région n’a pas su tirer parti de la chaîne de valeur énergétique au fil des années. L’augmentation des capacités de raffinage dans la sous-région permettra non seulement de promouvoir le commerce intrarégional, mais aussi d’offrir aux pays de la sous-région la possibilité de s’approvisionner en produits moins coûteux, en raison des courts trajets de transport et des implications tarifaires (via la ZLECAF). Cette augmentation des capacités de raffinage est donc nécessaire pour un pays comme le Nigeria, compte tenu de son volume de production. La raffinerie de pétrole du groupe Dangote (d’une capacité de 650 000 barils par jour) qui devrait être mise en service d’ici 2023, contribuera légèrement à la résorption de ce déficit. Cette usine serait la plus grande usine de raffinerie en Afrique. Elle offre au Nigeria d’autres perspectives en matière de réduction de sa facture d’importation et de renforcement de ses réserves extérieures. Pour les pays de la sous région, c’est l’occasion de faire des économies sur les importations de pétrole et de développer davantage les infrastructures de transport nécessaires à la facilitation du commerce pétrolier.
« Surmonter les chocs mondiaux à travers la transformation structurelle et le commerce »
L’édition 2022 des PDAO, qui a pour thème « Surmonter les chocs mondiaux à travers la transformation structurelle et le commerce », discute de la manière dont la sous-région de la CEDEAO peut atténuer la récente escalade du niveau général des prix en augmentant les capacités de production locales, en améliorant le commerce intrarégional et en s’engageant dans un programme de transformation structurelle réaliste. Cette édition examine également les causes de la récente hausse des prix comme étant structurelles et préconise la nécessité d’interventions prudentes de la politique monétaire. En annonçant la publication de l’édition 2022 des PDAO, le Président de la BIDC et Président du Conseil d’administration, Dr. George Agyekum Donkor, a souligné l’importance de l’analyse des principaux indicateurs économiques comme moyen de mettre en évidence l’impact des récents événements mondiaux sur les économies de la CEDEAO et de proposer des mesures d’atténuation à l’attention des décideurs politiques. Il a déclaré que l’édition 2022 met également en évidence les opportunités et les menaces dans la sous-région pour guider les décisions d’investissement des investisseurs existants et potentiels.
Le Directeur de la Recherche et de la Planification Stratégique de la Banque, M. MacDonald Saye Goanue, a évoqué l’environnement macroéconomique difficile auquel la Communauté est confrontée, provoquant une dégradation des perspectives de croissance. Les prix élevés des denrées alimentaires et de l’énergie font peser un grand risque sur l’assainissement budgétaire et la viabilité de la dette, tout en menaçant d’accroître les déficits des comptes courants. Les monnaies locales subissent également la pression de cette poussée inflationniste. Il est ainsi nécessaire de synchroniser les politiques budgétaires et monétaires pour relever ces défis avec succès.