Le président du Niger Mohammed Bazoum a été dépossédé du pouvoir par le biais d’un coup d’Etat militaire le 26 juillet 2023. Après les sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), l’ambiance se détériore en Afrique de l’ouest et la CEDEAO se rapproche de l’implosion. A la recherche d’un regard extérieur sur cette crise, la rédaction de L’investisseur s’est rapproché du directeur du cabinet Essiel, spécialisé en management des organisations, Mahuwhlenmi Jules Madjro.
Lire ci-dessous l’intégralité de l’interview à nous accorder.
L’investisseur : Quelles appréciations faites-vous par rapport à la crise socio politique née du coup d’Etat opéré au Niger ?
Jules Mahuwhlenmi Madjro : Quand la diplomatie n’est pas efficace on assiste à des troubles sociaux et autres coups d’Etats. La situation intervenue au Niger et ayant aboutie au coup d’Etat est née de l’échec de la diplomatie entre le président Bazoum et ses concitoyens sinon l’armée. Il y a eu manque de négociation au sommet des affaires de l’Etat nigérien. S’il y avait eu des négociations approfondies, une diplomatie efficace impliquant toutes les forces vives de la nation dans un dialogue franc et sincère, la situation serait toute autre.
Le Niger, le Burkina et le Mali viennent de se mettre en alliance pour une coopération militaire. Quelles appréciations en faites-vous ?
La mise sur pied de l’alliance des Etats du Sahel complique la tâche à une possible intervention militaire au Niger. Car aujourd’hui, en cas d’intervention militaire la CEDEAO se retrouverait en face d’une troika, ce qui naturellement est plus compliquée que d’avoir affaire au Niger seul. Et au-delà de cette troika, il ne faut pas oublier que beaucoup de puissances étrangères notamment la Russie soutiennent le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Donc plus cette crise dure, plus elle se complique. La création de l’alliance des Etats du Sahel prouve l’échec du vivre-ensemble dans la sous-région ouest africaine.
Quelles appréciations faites-vous de la position de la CEDEAO vis-à-vis du coup d’Etat au Niger ?
On ne peut accepter les coups d’Etats comme une solution de développement. La diplomatie et la négociation doivent être les armes prioritaires quelles que soient les raisons que nous avons. C’est donc normal que la CEDEAO condamne fermement un coup d’Etat à un chef d’Etat élu par la voie des urnes. Toutefois, la CEDEAO est une organisation sous régionale qui a pour leitmotiv l’intérêt commun des citoyens de ses Etats membres. Certes, il faut condamner les coups d’Etat mais voilà que c’est déjà arrivé. Il faut donc privilégier le dialogue. Il est vrai que les sanctions économiques mettent la pression sur les militaires au pouvoir mais il ne faut pas oublier que ces sanctions fragilisent le social dans la sous-région et surtout porte un frein au commerce intra-africain. Pour nous, nous avons déjà perdu assez de temps. Il est temps de laisser s’exprimer notre solidarité régionale et discuter en toute honnêteté.
De même, il faut noter qu’il y a déjà des discordances au niveau des Etats membres de la CEDEAO dans la gestion de la crise survenue au Niger. Donc, au final, nous sommes tous perdants dans cette crise. Du Niger à la CEDEAO en passant par le Bénin et autres Etats, nous perdons en solidarité, en économie et ces tensions ont des répercussions très négatives sur notre développement.
Selon vous l’alternative à cette crise est le dialogue. Mais comment la CEDEAO peut-elle dialoguer avec des autorités qu’elle ne reconnait pas ?
La CEDEAO est à la croisée des chemins. Aujourd’hui, elle se retrouve à une étape où elle doit décider si c’est l’intérêt supérieur de la solidarité et de tous les Etats membres qui compte ou si c’est l’intérêt de quelques Etats membres qui doit être priorisé. Parce que cette organisation est en train de se fragiliser et c’est le moment opportun pour que les chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO se regardent en face et se disent qu’il vaut mieux discuter entre eux pour régler les problèmes à l’interne plutôt que s’exposer à la face du monde en s’entredéchirant. La CEDEAO doit agir en bon père et ramener la junte militaire à la raison pas en la jugeant mais en l’aidant à rétablir l’ordre constitutionnel. Je voudrais finir en rappelant que la survenance de ces coups d’Etats a rappelé aussi la responsabilité de la CEDEAO quand des chefs d’Etat ou de gouvernement ne respectent pas la constitution de leurs pays. C’est donc l’opportunité pour l’institution régionale de resserrer ses liens en dialoguant encore et encore.
Comment est-ce que le dialogue dont vous parlez peut être mis en œuvre ?
Nous voyons la limite de la gestion des gouvernements des Etats de la CEDEAO dans cette crise et une absence totale des leaders religieux. Qu’ils soient évangéliques, catholiques, protestants ou issus des religions endogènes, les leaders religieux ont un rôle important à jouer. Car tous les acteurs de cette crise sont de près ou de loin liés à une confession religieuse ou pratiquent les religions endogènes. Nous n’allons pas rappeler le rôle oh combien important de feu monseigneur Isidore de Souza lors de la conférence des forces vives de la nation de février 1990 au Bénin. Mais aujourd’hui, il faut que les religieux arrêtent de demander des audiences au chef de l’Etat et autres pour dire qu’ils apportent leurs contributions. Ils doivent au contraire entrer en contact avec les acteurs de cette crise notamment les nigériens pour négocier et préparer le terrain avant d’impliquer les chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO pour un consensus final. C’est le moment d’aller à la table des négociations pour se dire la vérité et aplanir les divergences.
Interview réalisée par Luc TOSSOU