Le développement des nations africaines passe par celui des entreprises notamment privées. En vue d’apporter sa contribution au progrès des entreprises africaines, le journaliste et entrepreneur camerounais Nyeck Wilfried Junior a rédigé une contribution qui est parvenue à notre rédaction.
Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite interview.
Contribution de Nyeck Wilfried Junior
Introduction
Il semble avéré que le processus de désintégration observable des flux commerciaux africains dans l’intervalle 1970 -2000 (où la part des échanges africains sur le marché mondial avait chuté de 4% à 1.5%) soit en diminution. Toutefois, le poids de l’Afrique dans le commerce mondial demeure encore quasi insignifiant.[1] Cette situation est en partie due au caractère peu compétitif des entreprises du continent. A titre illustratif, les données de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) font état de ce que seuls 18% des nouvelles entreprises exportatrices africaines restent encore en activité 3 ans après leur création. C’est dire l’ampleur de la fragilité des entreprises africaines dans l’arène commerciale internationale.
Même s’il est impossible de nier l’immensité de la distance qui sépare les entreprises du continent et celles des autres ères géographiques en termes de savoir-faire, d’expérience et de confort technologique etc., il ne faudrait tout de même pas minimiser les possibilités offertes audites entreprises africaines du fait des phénomènes induits et ou accentués par la mondialisation.
En effet, l’analyse pourrait valider les possibilités non négligeables qu’offre le village planétaire actuel aux entreprises africaines en termes de développement international. Ce concept étant entendu comme le processus consistant pour une organisation à déployer ses activités en dehors de son marché primaire.
Il va sans dire que la préoccupation centrale qui est à la base de cette réflexion est de procurer de simples astuces et idées aux sociétés africaines pouvant les aider à capter les opportunités existantes sur la scène internationale du commerce.
Dans l’univers des multiples stratégies proposées par la littérature sur cette question, les développements qui suivent seront principalement structurés autour des éléments qui de notre modeste point de vue, correspondant à la réalité de plusieurs organisations africaines et par conséquent, plus aisément mobilisables par ces dernières.
- La phase incontournable de l’introspection
Aussi attrayante que soit l’idée de l’expansion des activités d’une entreprise hors de son marché primaire, il s’agit avant tout d’une aventure sérieuse autant capable de la faire grandir que de la fragiliser, voire de menacer son existence. Aussi est-il incontournable pour toute structure qui nourrit l’ambition d’étendre géographiquement ses activités, de procéder au préalable à une introspection, tant des ressources humaines que des ressources financières et matérielles.
- La nécessité des ressources humaines de qualité
A titre purement illustratif, l’entreprise devrait compter en son sein des ressources ayant la parfaite maîtrise de son potentiel et par conséquent de sa capacité à satisfaire aux besoins des nouveaux marchés visés.
Il est également indispensable de compter parmi ses effectifs, une ressource à même de faire face aux défis que représentent les procédures administratives découlant d’une ouverture à l’extérieur. Un accent devant naturellement être accordé aux contraintes fiscales et douanières, ainsi qu’aux exigences liées aux normes dans les marchés visés.
S’il est préférable de disposer de cette ressource humaine en son sein, l’entreprise peut recourir aux services d’agences ou cabinets spécialisés en la matière.
- L’importance des ressources financières et matérielles
Du fait de l’augmentation de la production qu’elle entraine, la conquête des nouveaux marchés induit de façon inéluctable une augmentation des charges, à la fois sur le plan financier et sur le plan matériel. Aussi, l’entreprise devra-t-elle s’assurer de sa santé financière et de la disponibilité en qualité et en qualité de certaines matières premières nécessaires à la production.
- Le choix des marchés prioritaires
Comme évoqué plus haut, la littérature est très abondante sur la question du développement international des entreprises, offrant multiples stratégies. La présente analyse ne consiste pas à reprendre toutes ces recettes, mais à proposer des outils et modalités adaptées au poids modeste des entreprises du continent noir.
Gardant à l’esprit que le marché international est un espace de rude concurrence, dans lequel se meuvent et s’affrontent des géants aux stratégies commerciales parfois aussi intrépides que brutales, il est indispensable pour les entreprises africaines d’avoir la modestie dans l’ambition, et par conséquent d’affiner leurs politiques d’expansion.
Cet exercice passe nécessairement par une sélection rigoureuse des nouveaux marchés. L’analyse a mis un point d’orgue à deux types de marchés dans lesquels les entreprises du continent pourraient quasiment disposer d’avantages comparatifs.
- L’exploitation des ensembles régionaux
D’après la Banque Africaine de Développement (BAD), les échanges intra-africains sont actuellement estimés à près de 16%, alorsqu’en Europe et en Asie, les flux commerciauxintracontinentaux seraient de 60%. Le commerce africain des produits agricoles non transformés et des ressources naturelles est à 90% destiné aux marchés tiers.Les perspectives semblent reluisantes en la matière car, en plus des facilités certaines engendrées dans le cadre des Communautés Economiques Sous-régionales, l’environnement en Afrique bénéficie des initiatives prises dans le cadre de la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAF). Au titre de ces initiatives on peut citer l’Initiave de Commerce Guidée (GTI), visant à permettre des échanges commerciaux significatifs en Afrique.
En tout état de cause les entreprises africaines devraient davantage considérer la niche que représentent les marchés voisins, parfois inscrits dans les mêmes ensembles régionaux, débarrassés à certains égards de contraintes fiscales et douanières. Il se pose donc la question d’un personnel de veille stratégique au sein des entreprises.
- Les marchés accessibles du fait des diasporas et des réseaux diplomatiques
Au-delà des avantages que pourrait offrir l’accès aux machés du continent parfois géographiquement et culturellement proches, l’augmentation des diasporas africaines à travers le monde et des réseaux diplomatiques des pays du continent dans le contexte de la mondialisation, sont des facteurs potentiellement mobilisables par les entreprises africaines.
- Les niches de marché offertes aux entreprises africaines par les diasporas africaines.
Selon les chiffres fournis en 2021 par le magazine Le Point, la diaspora africaine dans les pays développés d’Amérique et d’Europe était estimée à 13.6 millions en 2019. Ce chiffre ne tient compte que des personnes nées en Afrique et vivant en dehors du continent.
Si l’on considère non seulement les progénitures de cette catégorie, les africains présents sur les autres pays d’Europe et d’Amérique non pris en compte, mais également les africains vivant sur d’autres continents étrangers, il semble évident que la diaspora africaine dans son ensemble est très considérable.
A contrario des phénomènes d’acculturation souvent induits par la mondialisation, il est fort heureusement observable que les communautés africaines expriment parfois le besoin de conserver au moins en partie leurs cultures, notamment sur le plan alimentaire et vestimentaire. Il s’agit là d’une niche de marché exploitable par les entreprises africaines. C’est le lieu ici de mentionner que certaines entreprises asiatiques par exemple intègrent d’ores et déjà cette réalité dans leurs stratégies d’expansion.
En plus de l’opportunité qu’offrent les mobilités des communautés africaines, il faut voir dans lesdites communautés des relais importants pour l’accès aux informations sur les marchés extérieurs.
- Les réseaux diplomatiques africains : un atout pour les entreprises africaines.
Il n’est pas toujours aisé pour bon nombres d’entreprises africaines de disposer des moyens nécessaires pour mener des études de marchés à l’extérieur. La multiplication des Postes Diplomatiques et Consulaires des pays africains à travers le monde est dès lors une aubaine pour les entreprises du continent qui, pourraient s’appuyer sur ces canaux pour avoir des informations sur les marchés relevant de leur ressort territorial.
Conscientes de l’atout que représentent les réseaux diplomatiques, les entreprises africaines pourraient, dans la dynamique du partenariat public-privé, solliciter la création des plateformes de collaboration avec les instances compétentes. Il pourrait d’ailleurs s’agir d’une priorité dans l’élaboration des politiques publiques tant au plan national que régional.
Conclusion
L’analyse s’est attelée à mettre à dispositions des entreprises africaines quelques astuces et idées pour enrichir leurs stratégies de développement international et, pour celles qui ne s’inscrivent pas encore dans cette dynamique, susciter les logiques d’expansions de leurs activités.
Bien entendu, il n’est pas à exclure les efforts relevant au moins en partie des pouvoirs publics au plan national et régional en terme d’amélioration des infrastructures transfrontalières, d’offre énergétique, de lutte contre les comportements repréhensibles des agents publics intervenants dans les flux des marchandises et services et de mise en place des systèmes d’information fiables. Sur ce dernier point, il faut mettre en exègue des situations où, par manque d’informations, certains biens et services qui auraient pu être fournis par certaines entreprises africaines, sont finalement importés des marchés extra-africains.
Au demeurant, en empruntant à Vernon la quintessence de sa théorie du cycle de vie d’un produit, postulant que les différentes capacités technologiques entre pays sont directement répercutées dans le commerce extérieur, il permis de penser et de postuler également que l’efficacité des entreprises africaines sur la scène internationale, dépendra du confort technologique en Afrique.
Les entreprises africaines gagneraient fortement non seulement à recourir au savoir issu de nos institutions scolaires et académiques, mais surtout à être, dans la mesure de leurs possibilités, des facteurs de développement de l’Ecole. Les investissements dans la recherche académique est une piste à envisager par les patronats africains.
[1] Fabien Candau, « Marginalisation commerciale de l’Afrique ». 2019. Hal-02306417 ;