(L’Afrique frappera un grand coup géopolitique s’il réussit à nouer le dialogue entre l’Ukraine et la Russie)
Le président en exercice de l’Union africaine (UA), le président de la République du Sénégal, Macky Sall a rendu une visite au président de la Russie, Vladimir Poutine, le 03 juin 2022 à Sotchi. Au menu de cette rencontre, la ‘’libération du blé ukrainien’’ et la coopération Russie-Afrique. De quoi susciter des interrogations au moment où la communauté internationale essaye d’isoler le pays dirigé par Vladimir Poutine.
Les Etats d’Afrique ont décidé de prendre leur destin en main face aux difficultés qu’ils connaissent actuellement du fait de la guerre en Ukraine. Le fait aurait été assez simple et dénué de tout malentendu si la rencontre entre Macky Sall et Vladimir Poutine ne s’était pas faite à un moment où les puissances occidentales essayent d’étouffer le pays dirigé par l’ex directeur du KGB. Invité sur Radio France internationale (RFI) il a quelques jours, Macky Sall a dévoilé le but de sa visite à Sotchi. « Quand je suis allé voir le président Poutine, il y avait trois messages au nom de l’Afrique. Le premier message, c’est qu’il fallait tout faire pour aider à libérer les céréales d’Ukraine, à partir de la mer Noire par le port d’Odessa, et que la Russie ne crée pas de difficultés pour cette exportation. La deuxième demande est que nous voulons également accéder aux céréales russes et surtout aux engrais : tout ce qui est ammoniaque, potasse ou urée. Ce sont des éléments importants qui étaient achetés en Russie et aussi en Ukraine, surtout le blé. La troisième demande, c’est que nous souhaitons la fin de la guerre, nous souhaitons une désescalade. Pour ce faire, nous demandons d’engager des discussions avec l’Ukraine et avec les autres pays, qui sont aussi partie prenante aujourd’hui de ce conflit. », a-t-il expliqué.
Le président de la Russie, Valdimir Poutine a rassuré son homologue du Sénégal qu’il est prêt à ‘’libérer’’ le blé ukrainien. « Je suis d’autant plus rassuré que ce qu’il m’a dit devant Moussa Faki (NDLR : président de la Commission de l’UA), son ministre des Affaires étrangères l’a rappelé avant-hier à Istanbul. La Russie s’engage si le déminage des eaux du port d’Odessa est assuré, elle s’engage si les conditions des contrôles de bateaux sont assurées. Elle ne posera alors aucun acte pour la sortie du blé ukrainien. Elle s’est même engagée en disant que si l’Ukraine veut utiliser d’autres ports comme à Marioupol, elle pouvait assurer les corridors de sécurité. Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas d’éléments me permettant de contredire cela », a fait savoir Macky Sall.

L’Afrique réfléchit, la Russie se rapproche, la France et les ex colons s’éloignent
La confiance affichée de l’UA en Vladimir Poutine, si elle est respectée par les russes marquera un grand coup dans les relations entre l’Afrique et la Russie et entre l’Afrique et ses anciens colons. En effet, après l’intervention des russes au Mali, la libération du blé ukrainien viendra compléter la confiance des Etats africains en la Russie. Les Etats africains verront en la Russie, un allier qui les assiste quand ils ont des difficultés et qui les écoute alors qu’il défie les puissances mondiales. Aujourd’hui, l’Afrique s’est presque mise en dehors du conflit uikraino-russe car plusieurs pays africains se sont abstenus de voter à l’Organisation des Nations-Unies (ONU). Ceci, malgré quelques ‘’pressions’’. En effet, pendant la rencontre de Sotchi, Macky Sall a rappelé à Vladimir Poutine que la majorité des pays africains, dont le Sénégal, avaient « évité de condamner la Russie » aux Nations Unies, « malgré d’énormes pressions ».
La neutralité de la plupart des Etats africains quand il s’est agi de condamner la Russie à l’ONU leur permettent aujourd’hui d’avoir la confiance de la Russie. En même temps, cela montre que les Etats africains ont gagné en maturité et ont quitté l’étape du ‘’suivisme’’ où ils s’alignaient à la que leu leu derrière les instructions ou choix des anciens colons notamment la France. « L’abstention, c’est un vote, ça veut dire que je ne vote ni pour, ni contre. C’est une position, dans un vote, vous avez oui, non ou abstention. Il ne faut pas aller vite en besogne sur les intentions de vote, sur les positions de vote des États. Nous avons des opinions également, dont il faut tenir compte. Sur la Russie, par exemple, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, nous avons voté oui pour la création d’une commission. Parfois, ça dépend du vote. Il y a des votes où nous votons oui, si ça nous parait conséquent et cohérent. Quand ça ne paraît pas cohérent, ou quand nous ne voulons pas prendre position, nous nous abstenons. Cela n’a rien à voir avec un alignement en faveur de la Russie ou pas », a confié Macky Sall.
De même, la Russie montre de plus en plus qu’elle est disposée à améliorer sa coopération avec les Etats africains. Ce qui aiderait ces derniers à diminuer l’influence des anciens colons et jouir d’une position géopolitique plus favorable et valorisante.
La coopération Afrique-Russie handicapée par les sanctions européennes
« … nous sommes, les africains, confrontés à la difficulté générée par les sanctions sur le système de paiement swift. A partir du moment où nos banques sont liées aux banques européennes pour la plupart, elles ne peuvent pas payer comme elles le faisaient traditionnellement. Alors que quand il s’agit des Chinois ou d’autres pays, la Russie continue à commercer. Même avec les Etats-Unis, même avec l’Europe pour le gaz. Mais nous, on ne peut pas en raison du système de paiement. On n’accuse pas l’Europe d’avoir mis des sanctions sur les céréales, mais les sanctions sur le swift et sur certains oligarques qui sont producteurs de céréales et d’engrais font que les banques ne veulent pas travailler avec eux et que cela nous affecte. Du coup, on a d’une part la guerre qui a créé cette situation, et d’autre part, les effets des sanctions qui font que, de toute façon, on a des difficultés d’approvisionnement. Il nous faut simplement avec nos partenaires européens trouver un moyen de lever cette difficulté pour réguler le marché et assurer un approvisionnement correct en céréales, mais surtout, encore une fois, en fertilisants », a confié le président en exercice de l’UA aux micros de RFI et France 24.
L’Afrique frappera un grand coup géopolitique s’il réussit à nouer le dialogue entre l’Ukraine et la Russie
L’Afrique peut jouer un rôle important dans l’établissement du dialogue entre l’Ukraine et la Russie. En effet, après avoir montré l’excellent état de santé de la coopération Russie-Afrique, les chefs d’Etats africains pourraient faire rebelote avec l’Ukraine. En tous cas, ce n’est pas la volonté qui manque aux dirigeants africains. Des confidences du président en exercice de l’Union africaine, une rencontre avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky serait en cours de préparation. « … je n’ai jamais été invité à Kiev. J’ai la volonté d’y aller, parce que je voulais me mettre dans une position de neutralité. Mais l’Ukraine nous a demandé de communiquer avec l’Union africaine. J’ai transmis cette demande du président Zelensky. Le bureau élargi de l’Union africaine a accepté cette demande, tout comme elle m’a chargé d’aller voir le président Poutine pour donner les positions de l’Afrique et réclamer ce que je viens de dire. Nous allons réaliser le plus rapidement possible cet entretien avec le président Volodymyr Zelensky et les leaders africains. Et après cela, s’il s’avère qu’il nous invite, nous irons à Kiev avec plaisir, comme je l’ai fait pour Sotchi », a expliqué Macky Sall.
Si l’Union africaine réussit à gagner la confiance de l’Ukraine, elle serait dans une position idéale pour engager des négociations sincères entre les deux belligérants. Ce qui pourrait bouleverser la géopolitique mondiale et repositionner l’Afrique dans le concert des nations.
Nafiou OGOUCHOLA