Le passage du statut de pays sous-développé à celui de développé passe par la gestion efficace des affaires au sommet de l’Etat. Lancés dans le processus de progression, les Etats africains ourdissent divers stratagèmes pour arriver çà bout de leurs difficultés et réaliser des performances économiques. Toutefois, une chose est d’agir et une autre est de poser l’action nécessaire. En vue d’analyser quelques faits d’actualités en Afrique, notre Rédaction s’est rapproché du fondateur et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, un cabinet-conseil spécialisé en expertise géopolitique et communication stratégique en Afrique et dans le monde. Il s’agit de l’enseignant en « géopolitique de l’Afrique » à l’Université de Reims Champagne Ardenne, intervenant également à l’Ecole nationale supérieure des Armées de Porto-Novo et membre de l’Association Béninoise d’Etudes Stratégiques et de Sécurité, Régis Hounkpè. Avec lui, ont été abordés plusieurs sujets notamment le vrai sens à donner aux dernières visites du président français Emmanuel Macron en Afrique, la Zone de libre-échange continenetale africaine (Zlecaf) et la monnaie unique de la CEDEAO, l’Eco.
Lire ci-dessous l’intégralité de l’interview qu’il nous a accordée.
L’investisseur : Le chef d’Etat français, Emmanuel Macron, a entamé une vague de visite dans plusieurs pays d’Afrique. Est-ce pour pérenniser et/ou renforcer les intérêts de la France dans ces pays ou pour leur venir en aide ?
Régis Hounkpè : Evidemment, le président français se rend en Afrique pour le rayonnement culturel, l’influence géostratégique et la croissance économique de la France. Il n’y a pas de partenariat exclusivement axé sur la philanthropie et l’aide. Je vous rappelle que la France fait actuellement face à une inflation d’une ampleur inédite et à un déclassement international surtout en Afrique francophone jamais égalé. Tout ceci peut avoir des origines liées au contexte de guerre russe en Ukraine, aux rivalités stratégiques avec d’autres acteurs internationaux mais également sur les propres options politiques et diplomatiques de la France des pouvoirs qui n’a pas su ou pu s’adapter au tourbillonnement géopolitique à l’œuvre.
La Chine, la Russie, les USA et l’Inde et autres puissances accentuent leur présence en Afrique. C’est clair que ce n’est pas bon pour les intérêts de la métropole française. Comment est-ce que la France arrive à gérer cette situation de forte concurrence autour des mannes africaines ?
Nous ne pouvons nier la symbolique des relations ancrées dans le passé avec la France surtout en Afrique francophone : elle est de fait un partenaire historique en raison justement de l’histoire partagée même si souvent elle a été écrite dans le sang, la soumission, l’exploitation et l’aliénation des peuples africains. Mais aujourd’hui, la France n’est plus le partenaire économique le plus sollicité. A l’appui de ce déclassement, je me tiens toujours aux chiffres et aux statistiques qui eux ne mentent pas, contrairement aux hommes et aux idéologies. La France a longtemps été dans le top 3 des puissances non-africaines. En fonction des sondages et des écoles de pensée, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Canada, la Chine et la Grande-Bretagne sont entre 48% et 25% d’opinions favorables dans le baromètre 2019-2020 du Conseil français des investisseurs en Afrique. La France se situe à 20%, vient à égalité avec le Japon, un pays qui n’a pas de passé historique avec l’Afrique. Avec les crises diplomatiques au Mali et dans le Sahel, ce recul doit être encore plus saillant.
Pensez-vous que la Chine, la Russie, les USA et l’Inde ont des meilleures intentions que la France envers les pays africains ?
Je réfute toujours l’idée que les puissances viennent en Afrique au secours du continent. Elles y viennent pour leurs propres intérêts et c’est fondamentalement concevable et justifié. Il faut être pathologiquement naïf pour croire que telles des fées, ces puissances se penchent sur le berceau africain pour l’aider à sortir de sa léthargie. Quand je vois parfois les manifestations enthousiastes et énamourées de certains applaudissant à tout rompre les partenaires extérieurs pendant la signature et la conclusion d’accords, je suis partagé entre dépit et désolation. Je veux ici vous rappeler que ces pays ont la meilleure stratégie pour asseoir leur influence et leurs intentions sont d’abord consacrées à leur croissance économique et au renouvellement de leur capacité de puissance.
Que gagnent les Etats africains lors de ces visites ?
Ils y gagnent ce qui leur est accordé si en face les interlocuteurs sont dans l’émotion et l’amateurisme parce qu’il s’agit de la France ou de la Chine. Bien sûr, des partenariats peuvent découler de ces visites et permettre de travailler sur des programmes structurants de développement comme l’éducation, la santé, l’agriculture, le numérique, les infrastructures mais le donneur d’ordre fixera toujours ses conditionnalités et déploiera sa stratégie en fonction de ses attentes spécifiques en matière ou pas de transfert de compétences ou d’expertise, de soutien à une meilleure capacité de transformation ou d’industrialisation.
La France sans ses intérêts en Afrique perdra de sa superbe. Pensez-vous que les Etats africains peuvent un jour se libérer du joug de leurs anciens colons ?
Il n’y a pas de fatalité de l’éternel asservissement. Mais je vais vous choquer peut-être : la France est dans son rôle et les discours sur la coopération win-win peuvent faire plaisir dans les dossiers de presse et les cérémonies protocolaires mais ils ne disent pas que réellement la seule issue de sortie de cette servitude incombe d’abord aux Africains et à eux seuls. Ce que la France perd en Afrique, elle le gagnera ailleurs et le destin français est en Europe pour ceux qui lucidement ont compris les révolutions culturelles en marche. C’est la marque des grandes nations et des pays qui ont une histoire : ils savent négocier les transitions.
Ce qui doit mobiliser actuellement dans les relations internationales et dans les équilibres géopolitiques, c’est bien le rôle que l’Afrique et les pays dits du Sud souhaitent jouer dans le monde d’aujourd’hui et dans celui qui vient, un monde d’incertitudes et de contraintes, mais également d’opportunités et de puissance à conquérir.
Quelles stratégies peuvent ourdir les dirigeants africains pour leur réelle indépendance, sans pour autant rompre totalement les liens avec la France ?
Il n’y a ni mystère, ni même complot à ourdir pour se libérer des nombreuses tutelles qui s’enchainent. Il est important pour les pays africains de diversifier leurs partenariats extérieurs en fonction de leurs attentes, ambitions et visions spécifiques. Aucune puissance ne peut se prévaloir d’un monopole sur le continent africain ! Et par-delà, les Africains doivent s’affirmer forts, nombreux et déterminés avec tous ceux soucieux des équilibres. Mais la souveraineté ne peut être un slogan populiste qu’agiteraient des activistes aux motivations inavouables ou des pouvoirs mal élus instrumentalisant le malaise légitime des populations. Aussi, la question des indépendances réelles ne peut être déconnectée de celles du leadership qu’il soit politique, stratégique, économique, citoyen et des ressources à mobiliser pour soutenir toute politique autonome de développement et de financement de l’économie. Egalement, l’impératif de sécurité saute aux yeux si l’Afrique et ses 54 pays veulent construire des Etats stables, forts et fiables.
Quelle peut être la configuration de la carte géopolitique mondiale si l’Afrique devenait une puissance économique ?
Elle ferait bloc et face valablement au géant chinois. Aujourd’hui, elle repose sur plus de 30,3 millions de kilomètres carrés (en intégrant les espaces insulaires) pour une population de plus d’un milliard trois cent millions d’habitants. En 2050, le continent sera à 2,5 milliards d’habitants dont la moitié sera jeune. D’ici 2050, les jeunes Africains seront dix fois plus nombreux que les jeunes Européens. Un jeune sur 4 sera africain dans le monde et dans 100 ans, la population africaine quadruplerait selon certaines études. Mais les chiffres démographiques ne suffisent pas à faire du continent une puissance. Il doit également être une puissance militaire, politique et économique pour changer la face du monde.
La Zlecaf fait-elle les affaires des pays qui exportent en Afrique ?
L’objectif de la ZLECAF est d’être un modèle d’intégration économique et ambitionne d’être une force de frappe internationale sur les plans économique et commercial face au rouleau-compresseur des Routes de la Soie chinoises, de l’Union européenne ou des Etats-Unis par exemple. La Zlecaf, idéalement, devrait faciliter non seulement le commerce intra-africain, une circulation des biens et des personnes plus fluide et donc moins administrativement périlleuse. La Zlecaf, c’est aussi un marché intérieur de plus d’un milliard trois cent millions de consommateurs pour un PIB estimé à 3000 milliards de dollars. Ce capital économique et humain est de nature à accélérer l’attractivité du continent en faveur d’investissements directs étrangers nécessaires aux secteurs du numérique et de la modernisation des administrations publiques ou de l’agriculture durable par exemple. Cela est de nature théorique à favoriser davantage d’exportations intra-africaines et internationales donc en pratique, de meilleures politiques volontaristes sont attendues dans ce sens, en plus des urgences sécuritaires et politiques à prendre en charge.
Avec tous les problèmes auxquels sont confrontés les Etats africains, l’Eco est-elle encore dans les cœurs de nos dirigeants ?
L’Eco suscite bien de fantasmes et de lubies, davantage dû au positionnement ambigu de certains pouvoirs politiques et l’absence de pédagogie claire sur la mutation du franc CFA à l’Eco. Je suis partisan d’une monnaie responsable et adaptée aux pays qui le souhaitent mais ce débat est souvent pris en otage par des agitateurs et délaissé par les économistes ou spécialistes de ces questions. Peut-être que les meilleurs en la matière ne sont pas suffisamment entendus mais généralement, tous s’accordent sur l’absurdité ou la survivance du franc CFA à moyen et long terme. Cette situation peut arranger certains dirigeants, occupés à gérer d’autres urgences ou de redoubler de stratagèmes pour s’éterniser au pouvoir.
Quelles sont les conditions à remplir par les Etats africains pour voir affluer les investisseurs occidentaux qui n’ont plus envie de s’installer en Asie ou qui ont envie d’investir en Afrique ?
Je dirais de meilleures administrations et des services aptes à gérer l’urgence, une main d’œuvre qualifiée ou disponible à la formation, des compétences de cadres qui peuvent se déployer immédiatement, des conditions fiscales attractives, une qualité de l’accueil indéniable, des assurances sur la sécurité des investissements, le risque-pays et le risque-entreprises, la fourniture assurée de l’électricité et d’internet et un environnement des affaires sain et concurrentiel.
Les cadres africains sont souvent meilleurs quand ils sont au service des multinationales ou gouvernements étrangers. Mais dès qu’ils reviennent occuper une fonction au pays, non seulement ils deviennent moins performants mais ils s’érigent aussi en détourneurs et autres corrompus. Comment peut-on expliquer cet état de choses ? Pensez-vous que cela puisse changer un jour ? Soyez franc, svp.
Votre observation est pratique et se vérifie souvent sur des profils dits irréprochables mais qui succombent à la gabegie, au népotisme et aux détournements des deniers publics quand ils sont en situation de responsabilité dans leurs pays. Clairement, je ne me l’explique pas et je ne veux pas tout mettre sur le compte des pressions sociales ou de l’environnement culturel qui prédispose à ce que vous dénoncez. Ce n’est pas typiquement lié aux Africains, c’est davantage la nature humaine qui se perd en oubliant engagements et responsabilités. La probité relève parfois du luxe ! La corruption est inhérente à toute action humaine et je ne crois pas à l’impunité zéro. Il faut de toute évidence continuer à éduquer sur le bien public et sa nécessaire préservation pour le développement des pays africains.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA