ODD : « Il y a une surliquidité sur le marché international pour financer les projets d’impact »
. Marchés de capitaux : « La France emprunte avec un taux quasi nul ou négatif… le Bénin à des taux compris en 5 et 8 % »
- Une diplomatie de l’économie verte dont le continent africain serait l’initiateur
Le continent africain à travers ses dirigeants mais surtout ses citoyens, se voit contraint d’opérer des changements importants dans les politiques de développement qui ont été expérimentées, depuis l’accession à la souveraineté internationale d’un certain nombre d’Etats. Conscient de la nécessité pour la jeunesse africaine de se muer en moteur du progrès économique du continent, Khaled Igué, économiste et banquier d’investissement, co-Président de la French-African foundation et auteur du livre ‘’L’heure de l’Afrique’,’ travaille depuis plusieurs années pour apporter sa pierre à la construction de l’édifice ‘’Afrique’’ , un continent à développer de façon durable et inclusive.
A travers une grande interview, notre rédaction a recueilli ses aspirations, convictions et propositions. Ceci en abordant, entre autres, des questions relatives à ses activités professionnelles, au programme Young Leaders de la French-African Foundation, à ses activités avec le World Economic Forum de Davos, aux investissements et aux Objectifs de développement durable en Afrique et au Bénin en particulier. Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite interview.
L’investisseur : Que représente pour vous le programme Young Leaders ? En quoi la promotion 2021 des Young Leaders permet-elle de nourrir l’espoir d’un monde meilleur ?
Khaled Igué : Le programme Young Leaders représente une sorte d’espérance, un nouveau leadership adapté à une nouvelle époque.
Nous vivons aujourd’hui des défis globaux tels que le changement climatique ou la pandémie de la Covid 19. Ces défis ne pourront être relevés qu’au niveau mondial avec le savoir-faire et la contribution de tous. Originaires d’une trentaine de pays d’Afrique et de France, ces talents âgés de 28 à 40 ans dotés d’une nouvelle épistémè, dans différents domaines tels que la santé, l’éducation, la finance, les nouvelles technologies, la recherche, la culture, l’agriculture, ont achevé de me convaincre qu’il y avait là matière à espérer.
Quels sont les résultats auxquels vous souhaitez que la promotion 2021 des Young Leaders aboutisse dans quelques années ?
Je n’attends pas de résultats particuliers, nous ne sommes pas dans un concours scolaire, nous sommes en face de leaders. Ce que j’espère est une dynamique qui perdure.

Votre idée a été retenue par le World Economic Forum of Davos en 2021, comme l’une des huit idées qui auront un impact positif sur l’état du monde. En quoi consiste cette idée ? Quels sont ses tenants et aboutissants ?
Avant la crise de la Covid-19, la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de ses Objectifs de Développement Durable (ODD) était estimée entre 50 000 et 70 000 milliards de dollars sur une période de dix ans (2020-2030). Bien que les approches de financement traditionnelles, telles que l’aide publique au développement et la mobilisation des ressources intérieures demeurent essentielles, un important financement supplémentaire est nécessaire. Les Banques publiques de développement (BPD) peuvent accélérer cette mise en œuvre, en associant leur capacité́ de financement à des pratiques d’alignement systémiques et transversales avec l’Agenda 2030, qui catalysent de réelles transformations dans leurs comportements et leurs investissements.
Mon idée consiste en la création d’une plateforme qui permette de rassembler les acteurs du développement afin de centraliser l’expertise, le financement et les nouvelles technologies ; ce que j’ai donc appelé « Le triangle des Ressources » dans mon ouvrage ‘’L’heure de l’Afrique’’.
Que gagneront les Etats africains notamment le Bénin dans la réinvention du multilatéralisme du 21ème siècle ?
L’Afrique gagnerait à être le centre névralgique de l’innovation sur l’économie nouvelle qui va permettre de créer les emplois du 21ème siècle, qui n’est rien d’autre que « l’Economie Verte »
Nous avons un challenge en Afrique, celui de créer des emplois pour la jeunesse dans les 30 prochaines années. Nous avons une population de 1,3 milliards d’habitants qui va doubler d’ici 2050, dont 70% ont moins de 30 ans. Ceci implique qu’au moins 10 millions d’emplois net par an devront être créés les 30 prochaines années.
A l’instar de la Suisse qui, durant la 2ème guerre mondiale, de façon stratégique et neutre est devenue une nation incontournable dans le monde, j’ai toujours pensé que notre pays le Bénin pourrait se hisser au rang des grandes nations incontournables, en saisissant en ce 21ÈME siècle l’opportunité de devenir la plateforme diplomatique et économique qui va promouvoir un nouveau multilatéralisme, accélérer l’économie verte et bâtir un agenda global qui favorise la création d’emplois au 21ème siècle. Cela passe concrètement par le fait de se saisir d’une conférence mondiale qui se déroulerait au Bénin.

Invité il y a quelques semaines à la tribune pour les 40 ans de l’Agri-agence Fert, vous avez rappelé que l’agriculture est au centre du développement de l’Afrique. Pouvez-vous nous faire un résumé de votre contribution sur ce sujet ?
Dans un grand nombre de pays de notre continent, la croissance est créée par le secteur agricole et ses dérivés et dans une moindre mesure par les services. L’agriculture, les industries de transformation des matières agricoles et les services associés créent la grande majorité des emplois. 80% des matières agricoles transformées sur le continent sont réalisées par les femmes. Donc il y a dans ce secteur de l’économie un enjeu fondamental structurel et conjoncturel.
En quoi vos contributions et idées consignées dans le livre ‘’L’heure de l’Afrique’’ sont-elles utiles pour un changement de mentalité au sein de la jeunesse africaine ?
Le poète Paul Valéry disait que « la meilleure manière de vivre son rêve est de se réveiller » ; donc mon livre est aussi un plaidoyer pour les Africains et les diasporas africaines, pour une prise de conscience. Le développement du continent africain c’est avant tout et d’abord l’histoire des Africains.
Quel accueil a été réservé à ce livre et quels sont les échos que vous avez eus des lecteurs ?
Ce serait plus intéressant que vous posiez la question aux lecteurs, mais j’ai de bons retours et le livre suscite un débat indispensable pour notre génération ; et c’était le but recherché. D’ailleurs je vais entamer une tournée de promotion de ‘’L’heure de l’Afrique’’, qui commencera par le Bénin du 29 Novembre au Décembre 2021. Ces sera aussi l’occasion de confronter les idées contenues dans le livre à la réalité du terrain par le débat et le dialogue.
Avez-vous d’autres ouvrages à votre bibliographie ? Comment peut-on se le (s) procurer depuis l’Afrique ?
‘’L’heure de l’Afrique’’ est paru en janvier 2020 aux éditions Hermann dans les pays africains francophones, en France et en Europe. En Avril 2021 sous le titre ‘’Time for Africa’’ aux Etats-Unis, en Angleterre et dans les pays africains de langue anglaise. Pour l’instant j’ai de quoi faire avec ces deux livres. Je ne me considère pas comme un écrivain, je suis ce qu’on appelle un « Problems solver ». Donc quand j’ai des sujets de société à traiter, j’écris pour le faire.
Aujourd’hui on ne peut plus parler d’investissement sans considérer les Objectifs de développement durable (ODD). Comment accompagner les Etats africains à opérer cette mutation alors que le développement semble déjà une utopie pour la plupart des gouvernements du continent ?
Je pense que le sujet principal réside dans le fait qu’on n’exploite pas encore l’opportunité des ODDs comme un vecteur de croissance. Il y a une surliquidité sur le marché international pour financer les projets d’impact. C’est une vraie opportunité pour les gouvernements africains. Nous devons donc développer des projets à fort impact social et respectueux de l’environnement. Le Bénin en est la preuve vivante en levant 500 millions d’euros sur le marché international pour financer les 5 prochaines années des projets à fort impact social et environnemental.
Quelles stratégies proposez-vous pour la mobilisation des fonds nécessaires, qui permettront d’aider les Etats africains à associer les investissements aux ODD ?
Il faut repenser notre structure économique et mettre la priorité sur des projets qui créent une croissance durable et inclusive. Par exemple, repenser les villes africaines en créant des villes durables, créer une dynamique d’innovation structurelle exceptionnelle ; cela impacte les infrastructures, l’énergie, la formation, la mobilité, l’industrie, l’agriculture durable etc…
Les emprunts obligataires ODD constituent-ils des solutions pour des investissements durables ?
Le Bénin a levé un eurobond à 2035 à un taux de 4,95%, c’est inédit. On rentre sur des maturités à 15 voire 20 ans. Donc c’est une dette soutenable si la gestion et la gouvernance au niveau des projets financés est exemplaire. Nous devons collectivement comprendre que nous vivons une autre époque, où il n’y a plus aucune place pour la mauvaise gouvernance et la non- transparence. Seuls les pays africains qui t se mettront au niveau des standards internationaux, seront en mesure d’accéder aux marchés internationaux dans les prochaines années.
Il y a quelques mois s’est tenu le sommet sur l’économie africaine. Avez-vous pris part à ce sommet ? Si oui, quel rôle y avez-vous joué ?
En tant que Banquier d’investissement et Président du think tank Club 2030 Afrique, mon rôle est de faire des propositions sur le financement des économies africaines. C’est mon rôle et ma valeur ajoutée en tant qu’économiste africain.
Quel fut le bénéfice de ce sommet pour le continent africain ?
L’Afrique n’est pas en dehors de l’espace temps. Notre continent a le devoir et la responsabilité en ce début de 21ème siècle de s’affirmer et de proposer aussi des voies de sortie de crise. Et c’est ce que les pays africains ont fait à ce sommet. Nous avions collectivement poussé la communauté internationale à changer de regard sur le financement des économies dites en développement. Au lieu de se focaliser sur l’allègement et/ou la réduction de la dette comme c’est le cas à chaque crise économique depuis 50 ans, il a été question de trouver de nouveaux mécanismes de financement des économies, d’où le cas des droits de Tirage Spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire International.
Il y a quelques mois, vous disiez sur Radio France international (RFI) : « On devrait permettre à l’Afrique de pouvoir se financer ». Comment l’Afrique est-elle empêchée de se financer ?
Pour l’Europe et la France, le traité de Maastricht en 1992 prévoyait cinq critères de convergence, prenons-en juste deux : le déficit des administrations publiques ne pouvant pas excéder 3% du PIB et la dette publique ne pouvant pas dépasser 60% du PIB. En 2012, suite à la crise des subprimes 2008-2009, les règles ont été assouplies. Aujourd’hui en 2021, la France (derniers chiffres INSEE) a un déficit public de 9,2% du PIB et une dette notifiée de 115,7% du PIB.
Pour l’Afrique, les critères de convergence défendus par le FMI, limitent le déficit public à 4% pour la majorité des pays africains et dès que l’endettement dépasse les 50%, la sonnette d’alarme est tirée.
A titre d’exemple, la France emprunte avec un taux quasi nul ou négatif sur les marchés de capitaux alors qu’un pays comme le Bénin, qui a une croissance soutenue de 2,3% en 2020 en dépit de la crise (prévisions BAD 2021 4,8%, 2022 6,5%) va emprunter à des taux compris en 5 et 8% avec des difficultés pour des maturités de long terme.
In fine, l’Afrique va réussir à se financer à des taux d’intérêts faibles, grâce à la confiance des Africains eux-mêmes en leur propre économie.
Que faire autant par les gouvernants que par le citoyen lambda, pour que l’Afrique arrive à se financer ?
Il faudrait que les investisseurs africains fassent confiance à l’économie africaine et y investissent massivement. Il faudra créer plus d’outils ou d’institutions stratégiques de financement, dans lesquels l’épargne des africains et des diasporas aura une place prépondérante. Il s’agit par exemple de fonds souverains ou de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Pouvez-vous nous parler de la French African Foundation, de sa mission et de ses objectifs ?
La French-African Foundation est née de la volonté des jeunes Africains et Français de créer une plateforme de dialogue et de réseau afin de partager des valeurs et des intérêts. Elle a pour mission de valoriser les talents les plus prometteurs sur la scène franco-africaine.
Ses trois objectifs principaux sont : Tout d’abord faire émerger et révéler des talents africains et français, venant des 54 pays d’Afrique et de France, porteurs de projets structurants. Ensuite créer un réseau de dirigeants d’entreprise, de la société civile et du monde politique, âgés de 28 à 40 ans, capables de travailler ensemble et de relever les défis de notre époque. Enfin, contribuer à changer le narratif sur l’histoire de l’Afrique et renouveler son partenariat avec la France.
Quelles sont les activités majeures réalisées en 2021 par la French African Foundation ?
Suite à la crise de la Covid 19, nous avons essentiellement réalisé le programme Young Leaders 2021, sous le haut patronage de son Excellence le Président de la République du Sénégal Macky Sall et son Excellence le Président de la République Française, Emmanuel Macron. Nous avions reçu 3000 candidatures et 100 lauréats ont été retenus venant de près de 30 pays d’Afrique et de France.
Ce genre de programme à l’image de la French-American Foundation créée après la seconde guerre mondiale, nécessite un engagement fort et une légitimité. C’est donc une grande fierté et espérance d’être l’initiateur d’une telle aventure. L’une des difficultés reste la mobilisation des acteurs du développement (entreprises, société civile et décideurs politiques) autour d’une telle initiative apolitique.
Quels sont les projets que nourrit la French African Foundation pour l’année 2022 ?
Comme chaque année, nous organiserons le programme Young Leaders avec le choix d’un pays africain pour le haut patronage. Ensuite nous procèderons au lancement de l’application de Networking de la French-African Foundation. Plusieurs projets seront portés par les Young Leaders à leur initiative et avec la fondation tout au long de l’année 2022.
Interview réalisée par Nafiou OGOUCHOLA
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