Le gouvernement de la République du Bénin, sous le leadership du président Patrice Talon, a tenu parole et procédé à la revalorisation des salaires des agents de l’administration publique. Quelques semaines après la nouvelle annoncée en conseil des ministres du 07 décembre 2022, plusieurs questions se posent quant aux effets de cette mesure dans le secteur privé. Pendant que d’aucuns incitent les promoteurs d’entreprises privées à emboîter les pas au public, d’autres estiment qu’une augmentation des salaires des travailleurs du secteur privé ne saurait être une réalité sans des mesures d’accompagnement.
En vue de vous en faire connaître davantage sur ce sujet qui fera couler beaucoup d’encre et de salive car assez sensible, nous avons contacté l’économiste béninois, fondateur CJEA & LLoG Advisory, Beringer GloGlo qui, à travers une contribution parvenue à notre rédaction, se penche sur l’équilibre d’un système tricéphale qui doit reposer sur la compétitivité du secteur privé.
Lire ci-dessous, l’intégralité de ladite contribution.
Tribune libre de Beringer GloGlo
Tribune : Au détour de la revalorisation salariale : l’équilibre d’un système tricéphale qui doit reposer sur la compétitivité du secteur privé.
Auteur : Beringer GloGlo, économiste, fondateur CJEA & LLoG Advisory
La revalorisation du salaire minimum nourrit d’âpres débats. Faut-il revaloriser la compensation monétaire des travailleurs ? Sur quelle amplitude ? Dans quelles conditions ? A quel horizon ?
Au Bénin, le législateur fournit des éléments de précision : le salaire minimum progressera de +30% (de 40.000 FCFA à 52.000 FCFA à compter du 1er janvier 2023) et la revalorisation s’étend aux agents publics avec des hausses par catégories privilégiant les plus modestes. Si cela peut sembler une bien bonne nouvelle, elle n’est, toutefois pas accueillie pareillement par les différents acteurs formant l’économie. En effet, la revalorisation du salaire minimum met en évidence un système « tricéphale » : le bien-être des travailleurs – le secteur privé – l’Etat. Tout le défi consiste à trouver un équilibre qui permet d’éviter un échec de marché.
Le bien-être social
Depuis presque qu’une décennie, le salaire minimum est resté statique dans un environnement économique plutôt dynamique, de surcroît sujet à une pluralité de perturbations macroéconomiques internes et externes, lesquelles affectent l’équilibre des prix sur les différents marchés internationaux et par extension sur les marchés nationaux. Par exemple, les baisses de production engendrées par différentes crises climatiques, la pandémie, les crises énergétiques aboutissent à un ajustement à la hausse des prix des biens de consommation. Avec des biens de consommation toujours plus onéreux, sans compter certains besoins incompressibles tels que le logement, la santé, une revalorisation des salaires apparaît (presque) comme une évidence pour soulager les ménages après neuf années de stagnation.
Le secteur privé
Les entreprises privées transforment les ressources de leur état sauvage en des produits finaux de consommation en combinant l’énergie, les capitaux et le travail. De ce fait, elles perçoivent une augmentation des salaires comme un coût de production, lequel sera imputable aux prix des biens fabriqués. Le défi réside dans le mécanisme d’ajustement de prix (coûts de production, fixation des prix finaux) qui permet de ne pas aboutir à un échec de marché. C’est-à-dire une configuration dans laquelle on n’arrive plus à appairer l’offre et la demande (sur les marchés du travail et des biens) parce que les prix ne reflètent pas toute l’information nécessaire ou le signal des prix est faussé.
L’Etat
L’autorité publique, ici l’Etat, dans un rôle de régulateur agit sur le système ainsi constitué à deux niveaux pour : (i) préserver le bien-être social et (ii) garantirla continuité et la pérennité de tout le système. Son action émerge du simple fait que le système, dans bien des cas, n’aboutit toujours pas naturellement à un équilibre désirable pour toutes les parties.
Certains économistes prônent une non-intervention de l’Etat. Toutefois, les observations montrent qu’à l’exception des pays où la main d’œuvre est hautement qualifiée, les travailleurs bénéficient de condition qu’on pourrait qualifier de « presque misérable » lorsqu’on fonctionne avec un système qui s’autorégule. Ce constat est d’autant plus vrai que les pays font face à un fort taux de chômage ou endémique avec une prolifération du « sous-emploi ». S’il existe plus de demandeurs d’emploi que d’opportunités, les travailleurs perdent quasiment tout pouvoir de négociation de salaire.
La vraie interrogation est quel devrait être le seuil critique de l’action régalienne pour éviter un échec de marché total ?
De toute évidence, l’Etat devrait agir en considérant la contrainte ultime de compétitivité de son économie. En effet, il s’agit d’abord de ne pas compromettre la compétitivité des entreprises par le canal du coût de production, notamment un salaire minimum non soutenable. Ensuite, la politique fiscale est un levier, dont l’usage à bon escient permettra de converger vers une cible désirable pour tous.
Si la première mesure nécessite essentiellement des échanges avec les employeurs afin d’établir des compromis, la seconde inclut les outils dont dispose l’autorité publique pour alléger les contributions fiscales. Cela peut prendre la forme d’un lissage temporel des contributions fiscales, ce qui permettra au secteur privé d’intégrer les coûts par palier et non de façon brutale. Ceci n’équivaut surtout pas à une suppression absolue.
Car, il faut le rappeler la contribution fiscale dans les pays en développement à l’instar du Bénin reste en deçà du potentiel. Aussi, les contributions fiscales, en principe, servent à créer un écosystème favorable à la prospérité des entreprises par le financement des infrastructures énergétiques, de communication, etc.