« L’ennemi n’est pas visible et on aligne les chars. C’est là le paradoxe »
Des pistes efficaces pour mettre fin aux attaques
La web-TV BI-News a diffusé une émission intitulée ‘’Africaho’’ le lundi 03 Octobre 2022 avec pour principaux thèmes le terrorisme en Afrique de l’ouest et le récent putsch au Burkina Faso. Deux invités ont répondu aux questions du présentateur Jean-Eudes Mitokpè notamment le consultant Rudolph Karl et le Contrôleur général de Police à la retraite Clovis Adanzounon. A travers des réponses précises apportées aux interrogations du journaliste, l’expert en questions de sécurités et promoteur de l’Ecole internationale de détective et de stratégies a passé en revue les causes du terrorisme tout en s’appesantissant sur les pistes de solutions pour les « neutraliser ». Nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de son intervention.
Les causes des attaques terroristes et les revers des armées ouest-africaines
Clovis Adanzounon : C’est compliqué. Les armées sont déstructurées. Elles ne sont plus compétentes. Il faut mettre d’abord l’accent sur les hommes et les renseignements. Car les renseignements ont été décapités. Parce que si vous observez ces pays, ce sont des pays qui ont connu plusieurs coups d’Etats. L’armée dans chaque pays, comme au Burkina Faso, au Mali et au Bénin a gouverné pendant plus de 30 ans. Et cette armée a pris le temps de déstructurer tous les services de renseignements notamment les services de Police qui sont les services universels de renseignements. En lieu et place, ces armées ont mis en place des renseignements militaires axés sur la sauvegarde du pouvoir. Le problème aujourd’hui est un problème de renseignements.
C’est une guerre hybride, asymétrique, pour ne pas dire une techno guérilla. Ils sont plus formés et équipés que toutes nos armées aujourd’hui. Ils ont des renseignements satellitaires, ils sont appuyés par des puissances d’argent du Golfe et des puissances mondiales. Pendant ce temps, nos armées pendant 30 ans, ont pris le goût du pouvoir et ne connaissent plus le combat. Il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.
Les hommes de ces armées étaient recrutés en fonction de l’ethnie du président qui était au pouvoir. Ces hommes ne sont pas nécessairement compétents mais ils sont là pour sauvegarder un pouvoir. Pendant 30 ans, tous les compétents qui ne sont pas de l’ethnie au pouvoir ont été chassés ou emprisonnés. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on n’a pas une armée équipée. La France elle-même qui est notre puissance coloniale n’est pas équipée. Elle ne peut pas tenir dix jours de guerre. De même, pour acheter des armes, il faut remplir des formalités complexes. Le chef de l’Etat Patrice Talon l’a souligné lors de la visite du président Emmanuel Macron au Bénin. Donc pour récapituler, c’est un problème de formation des hommes, d’équipements et de renseignements. Face à une guerre asymétrique, on ne peut pas mener une guerre conventionnelle. On ne voit pas l’ennemi et on aligne les chars. On veut tuer qui ? C’est là le paradoxe.
Pourquoi l’armée burkinabè n’a pas réagi aux attaques ?
En Afrique, nous souffrons de deux problèmes : la corruption et l’indiscipline. Les terroristes ont réussi à infiltrer toutes les armées. Si bien qu’ils sont au courant de tous les mouvements des forces armées. Par exemple le cas de l’attaque de Gaskindé. Comment peut-on envoyer un convoi dans une localité qui est contrôlée par des terroristes sans mettre au moins un char devant et un autre derrière. Et on met 11 soldats à bord de quatre camions. C’est impensable.
Il y a un problème d’infiltration de nos forces armées, à travers les canaux que vous connaissez. Il y a la géopolitique. La lutte d’influence des blocs et la soumission de nos peuples pour prendre leurs ressources minières. Les gens n’ont pas intérêt à ce que l’Afrique soit en paix et que les pays africains se développent. Parce que les autres n’ont aucune matière première et se sont développés et nous, nous sommes leur coffre-fort en matières premières. Chaque fois qu’on veut échapper à cette géopolitique, il y a toujours un mouvement pour arrêter notre élan de développement pour nous ramener à la soumission.
Les politiciens burkinabè peuvent-ils revenir sur la scène ?
Ce sera difficile. Parce que les politiciens sont essoufflés. Ils sont à la base de ces mouvements qui les dépassent aujourd’hui. Et le vent qui souffle sur la scène internationale fait que les anciens partis politiques sont dépassés. Ils vont revenir mais c’est la jeunesse qui prendra le flambeau. Et cette jeunesse aussi a des problèmes de discipline et de corruption. Aujourd’hui les partis politiques ont des problèmes. Le patriotisme a déserté le forum. Quand les gens viennent au pouvoir c’est pour se remplir les poches, faire leurs affaires et partir. Donc la situation est trouble et si on ne sait pas faire, beaucoup d’Etats seront démembrés. Comme ce fut le cas de la Somalie.
Pour inverser la tendance, il faut que les populations participent et que les services de renseignements soient vraiment mis en place et fouettés pour arriver à les localiser et les détruire.
Les terroristes progressent dans le nord du Bénin. Pourquoi l’armée ne va pas les attaquer ?
Les gens n’aiment qu’on dise la vérité au Bénin et je ne veux pas me créer d’ennuis. Mais j’ai déjà dit que les armées ouest-africaines ne peuvent pas combattre en l’état actuel le terrorisme. Cela résume tout. Les terroristes attaquent et nos armées ripostent. Mais on ne va pas les déloger. Ils ne sont pas localisés. Ils ne sont pas évalués. Est-ce qu’on peut dire avec précision le nombre de terroristes au Mali, au Burkina ? Non ? Mais si vous ne les localisez pas, vous ne els évaluez pas, quelle stratégie allez-vous utiliser pour les neutraliser. C’est la guérilla. Une des erreurs de Damiba, c’est de faire sortir les populations de la zone des terroristes. Mais c’est la population qui doit fournir les renseignements à l’armée. Et le terrorisme ne peut pas être combattu de l’extérieur. C’est de l’intérieur. Cela veut dire qu’il faut l’infiltrer pour l’imploser. C’est-à-dire préparer des terroristes, habiller des militaires en terroristes pour être recrutés par ces terroristes, étudier leur modus opérandi, les fractionner et les neutraliser.
On peut neutraliser les terroristes sans les combattre. On a besoin d’un minimum pour les neutraliser. Si les renseignements sont bien ficelés. Et que la stratégie est bien ficelée, ils seront en train de dormir et on ira les chercher.
Perspectives pour le Bénin
Il faut mettre l’accent sur les hommes, l’équipement et les structures chargées des renseignements. Les armées ouest-africaines n’ont pas des renseignements alors que les terroristes ont des renseignements satellitaires. Il faut que nos armées prennent en compte le développement du numérique dans leurs stratégies. Par exemple l’utilisation des drones au lieu des chars. La formation du personnel militaire et civil, la formation du personnel de la Police, la mise à disposition des moyens pour permettre à ces hommes d’être à l’abri de la tentation de la corruption. Parce que lorsque le terrorisme propose 50 millions FCFA à quelqu’un qui n’a que 400.000 FCFA de salaire, il est tenté. Il faut mettre les hommes en confiance et on pourra avoir des résultats.
Transcription L’investisseur